Théâtre de l’Archevêché, 12 juillet
Et voilà qu’en pleine crise sanitaire – qui n’a, heureusement, pas eu raison de cette édition du Festival d’Aix-en-Provence, maintenue sans restriction de jauge –, la vague #MeToo s’immisce, par l’entremise de Lotte de Beer, sur la scène du Théâtre de l’Archevêché !
Mozart et ses Nozze di Figaro n’y sont certes pas pour rien : c’est bien de droit de cuissage, et de son abolition – de sexe, donc, et de pouvoir –, qu’il est question dans le livret que Da Ponte a adapté de Beaumarchais. Pour mener à bien sa démonstration, la metteuse en scène néerlandaise postule un « type d’univers théâtral » différent pour chaque acte – sans oublier l’Ouverture, durant laquelle toute l’action est jouée en accéléré, façon « commedia dell’arte ».
Confessons n’avoir pas trop saisi la différence, pourtant patente sur le papier, entre la « sitcom américaine des années 1980 » du I, et le « grotesque à la Brecht » du II, dès lors qu’aucune rupture esthétique ne cherche à l’étayer. Retenons plutôt une succession de gags, tantôt d’un goût douteux, tantôt bien trouvés, et parfois même franchement hilarants – comment rester de marbre face à la réapparition de Susanna, les cheveux dressés sur la tête, après s’être électrocutée avec le sèche-cheveux à l’aide duquel sa maîtresse tentait, pour la énième fois, de mettre fin à ses jours ?
Diverti à coups de clichés, dont il ne sait pas encore qu’ils n’ont été accumulés que pour être déconstruits, et donc dénoncés, le public ne se retient pas de rire, et applaudit même à tout rompre avec une spontanéité qui, après ces trop longs mois de représentations uniques pour salles vides hérissées de caméras, fait plaisir à entendre.
L’homme blanc hétérosexuel en prend bel et bien pour son grade – et ce n’est que justice, tant il est persuadé que tout lui est dû, à commencer par les faveurs de la future épouse de son valet, que sa concupiscence ne différencie pas, les yeux bandés, d’une planche à repasser, victime inerte de ses ardeurs désordonnées. La jeune génération n’est d’ailleurs pas plus recommandable, Cherubino ayant toutes les peines du monde à dissimuler des érections qui n’en finissent plus de s’allonger, tel le nez de Pinocchio.
C’est alors que tout se gâte : comme libéré de son propriétaire, un premier pénis géant surgit, un peu ahuri sur ses testicules, du placard de la chambre de la Comtesse, avant-goût – plus encombrant que cocasse – du finale du II, pagaille potache surpeuplée d’une faune improbable, au sein de laquelle se croisent un faux Elvis bedonnant, une licorne chevauchée par Basilio, et un duo de têtes de poupées gonflables…
À cet excès de profusion succède la nudité d’un plateau où trône, dans un cube de verre, le grand lit en bois doré du couple en déroute. Comme épuisée, la comédie s’esquive, laissant l’ambition didactique prendre le dessus, avant d’être elle-même supplantée par des prétentions idéologiques, dont les fils se dispersent dans un quatrième acte où le tricot, érigé en symbole de résistance, ne parvient pas à soutenir l’intérêt, malgré l’éclosion turgescente d’un arbre aux tentacules bigarrés, dans une ambiance censément « flower power ».
La fosse piégeuse de l’Archevêché, où le Balthasar Neumann Ensemble aurait dû fourbir ses armes, dès l’année dernière, dans Cosi fan tutte, ne laisse que peu de chance à Thomas Hengelbrock de remettre l’église mozartienne au milieu du village, réduisant les bois de sa formation d’élite à un caquetage rustique, que le vigoureux cliquetis de cordes bizarrement rabougries ne parvient pas à relever.
La distribution ne tient pas davantage ses promesses, moins faute de personnalités que de cohésion, d’abord stylistique. La palme du charisme revient, sans nul doute, à Gyula Orendt, idéalement détestable en Comte hilare et misogyne, entre velours du timbre et accents carnassiers – au point qu’il en oublie de chanter, y compris, voire surtout dans « Vedro, mentr’io sospiro », dont l’aigu insolent ne compense pas l’absence de ligne. L’inverse, en somme, de Jacquelyn Wagner, Comtesse ciselée mais privée d’aura par une lumière ternie, presque commune.
Julie Fuchs a beau, toujours épatante comédienne, être partout à la fois, elle ne renouvelle pas, en Susanna, l’émerveillement de sa Zerlina dans Don Giovanni, voici quatre ans, sur la même scène. Parce que son baryton est taillé pour le Comte – qu’il incarnera d’ailleurs dans la reprise de cette production au Teatro Real de Madrid, au printemps prochain –, Andrè Schuen passe la soirée à courir après les graves et le bagou de Figaro.
Longiligne, mais finalement peu crédible en travesti, Lea Desandre prête une couleur ravissante à un Cherubino moins poids plume que chétif, tandis que Monica Bacelli, hier encore émouvant Sesto dans La clemenza di Tito, trébuche désormais sur les quelques coloratures de l’air de Marcellina.
MEHDI MAHDAVI
PHOTO © JEAN-LOUIS FERNANDEZ