Comptes rendus Noces en streaming à Athènes
Comptes rendus

Noces en streaming à Athènes

11/12/2021

Stavros Niarchos Hall/GNO TV, 25 octobre

Comme Dialogues des Carmélites, œuvre ancrée dans un épisode historique précis, Le nozze di Figaro représentent un défi pour tout metteur en scène qui entend faire abstraction du contexte, où la pièce de Beaumarchais (Le Mariage de Figaro) a été créée. Comme le ferment révolutionnaire reste bien présent chez Mozart et Da Ponte, toute transposition est un risque, sinon une gageure.

Dans cette production du Greek National Opera (GNO), filmée sans public, au printemps 2021, et visible en streaming, jusqu’au 31 décembre (https://tv.nationalopera.gr/en/opera/le-nozze-di-figaro/), Alexandros Efklidis situe l’intrigue dans les années 1960, période de vifs mouvements contestataires et, parfois, révolutionnaires.

Nous voici dans un riche logement bourgeois, où de vastes pièces en enfilade donnent au plateau une singulière longueur : chambres, cuisine, salon, bureau, salle de bains, jardin d’hiver… Cet impressionnant dispositif scénique autorise moult déplacements et accueille parfaitement les péripéties du livret, notamment les facéties de Cherubino.

Décors (ah, ces papiers peints aux motifs faussement Vasarely, si authentiquement surannés !) et costumes, à la fois élégants et désuets (robes courtes, couleurs vives, boas extravagants), évoquent aussi la charnière des années 1960-1970 : une autre société prend forme, qui revendique la fin du patriarcat, la liberté sexuelle, l’émancipation des femmes. «  Vietato vietare » : ici ou là, sur des pancartes, on discerne un clin d’œil à Mai 68.

Une certaine forme de lutte des classes survit : la domesticité est toujours présente, la morgue d’Almaviva embourgeoisé n’ayant rien à envier à son ancêtre aristocrate. Sa violence se mesure aux trophées de chasse qui ornent orgueilleusement son bureau, mais aussi au garde-chiourme qui ne le quitte pas. Sa vulgarité se dessine dès l’Ouverture, lorsqu’il flirte avec Barbarina dans un petit cabinet capitonné, tandis que, à peine plus loin, la Comtesse se morfond sur son lit.

La troupe réunie par le GNO s’insère, avec vigueur et enthousiasme, dans ce dispositif, à l’image du duo Susanna/Marcellina, survolté et réjouissant. Outre d’excellentes dispositions vocales, la distribution fait globalement preuve d’une diction sans faille, aidant à la lisibilité de la partition. Toutefois, ici ou là, quelques ornementations surprennent.

Dionysios Sourbis, Figaro assuré, donne à son air initial une forme d’ironie, osant même, un instant, une voix de fausset. Pour mieux la rendre ensuite ample, gouailleuse, voire rugueuse, lorsqu’il envoie Cherubino à la guerre. Surprenante de prime abord, cette théâtralisation du chant convainc rapidement, en ce qu’elle confère au personnage une malice et une épaisseur bienvenues.

Davantage en retrait scéniquement, Aphrodite Patoulidou délivre une Susanna joyeuse, peu consciente, sans doute, de ce qui se joue à travers elle. C’est par la voix, délicate, parfaitement projetée et emplie de musicalité, que s’affirme la force du rôle.

Miranda Makrynioti campe un Cherubino irrésistible de drôlerie. Incapable de maîtriser son émoi, il jouit dans la robe d’une domestique et se réfugie dans un réfrigérateur, dont il sort – provisoirement – refroidi. Déhanché et doigts qui claquent, voici un « Voi che sapete » presque rock.

À la rusticité du Comte, personnage brutal incarné par Dimitri Platanias, répond la noblesse d’une Comtesse parfaitement tenue par Cellia Costea, dont le « Dove sono » n’appelle que des louanges. Très sollicités par la mise en scène, les « petits » rôles sont, eux aussi, de grande qualité, contribuant à l’inventivité et l’homogénéité du spectacle.

Dans la fosse, l’orchestre du GNO, sous la baguette de Vassilis Christopoulos, sonne brillamment et soutient joyeusement cette « folle journée». Une réussite.

JEAN-MARC PROUST

PHOTO © A. SIMOPOULOS

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