Staatsoper Unter den Linden/www.staatsoper-berlin.de, 1er avril
Depuis ses débuts, en 2012, la carrière du metteur en scène français Vincent Huguet s’est envolée sur le plan international, pour aboutir à cette trilogie « Mozart/Da Ponte » berlinoise, inaugurée par l’unique représentation des Nozze di Figaro, sans public, retransmise en direct, le 1er avril, sur le site du Staatsoper (avant replay sur medici.tv jusqu’au 1er juillet).
L’Ouverture peut inquiéter, qui dévoile une cuisine/salle de sport flashante, où opèrent en cadence des gymnastes, laissant bientôt seuls Susanna et Figaro qui, à l’acte I, mesurent la chambre à l’aune de leurs biceps. Mais le II se relève d’un coup, avec un beau décor, aux parois mordorées, où l’on regrette uniquement cette fenêtre sur un jardin rejeté à l’arrière-plan, enlevant beaucoup de son impact à tout ce qui tourne autour de ce ressort de l’action – comme d’ailleurs au personnage d’Antonio, privé de tout comique.
Au III, le Comte retrouve de sa superbe menacée dans un luxueux bureau, où un léopard empaillé permet un contrepoint très parlant entre la fierté de l’animal et les doutes du maître des lieux, qui vient exposer ses états d’âme sur le divan placé devant lui. Le IV, enfin, montre un ravissant jardin qui a la délicatesse et le raffinement de coloris d’une miniature persane ; Susanna y chante son « Deh, vieni, non tardar » au rythme lent d’une balançoire placée au centre, et des masques d’animaux, dessinés avec non moins de goût, permettent de bien lire une mascarade souvent difficile à déchiffrer.
Entre ces deux pôles, le parti d’une lecture toujours fidèle au livret l’emporte finalement par son classicisme et la beauté de sa réalisation, même si l’on peut regretter le gommage des rapports de classes : le Comte n’est ici qu’un manager de spectacles musicaux, qui a épousé la vedette du show (une affiche le redira, au III : « Rock on Rosina »).
L’excellence d’un plateau très attachant, sous une direction d’acteurs serrée, concourt largement à un bilan globalement positif. Il est mené par la séduisante Susanna de Nadine Sierra : a priori pas tout à fait idiomatique, mais qui l’emporte rapidement par sa vivacité, comme la pureté de l’aigu et la rondeur du timbre, la vigueur des accents, le mordant des attaques, et une assurance confondante.
Elsa Dreisig n’est pas toujours d’une justesse absolument parfaite en Comtesse, et l’on pourrait souhaiter une voix plus pleine, mais l’actrice est toujours d’une grande séduction, intelligente et sensible. On peut s’étonner du choix pour Figaro de Riccardo Fassi, une pure basse. Du coup, le chanteur italien est un peu limité dans les nuances de sa cavatine initiale, comme dans les aigus de son « Aprite un po’ quegli occhi », mais l’acteur, sans excès de subtilité, impose finalement son personnage nerveux et autoritaire.
De profil d’abord plus incertain, et moins sûr vocalement, Gyula Orendt révèle progressivement un Comte humain, trop humain. Et l’on se ralliera au surprenant Cherubino d’Emily D’Angelo, dont la haute taille et la carrure quasi athlétique sont peut-être trop soulignées, à son entrée, par sa tenue de joueur de base-ball, mais dont le mezzo, chaleureux et fruité, est très convaincant.
Les comprimari, comme il se doit, composent d’excellentes figures de caractère, faisant accepter les aigus trémulants de Maurizio Muraro en Bartolo, voire l’inexistence vocale d’un Siegfried Jerusalem bien âgé, qu’on salue au passage en Don Curzio.
Malgré de petites baisses de tension, Daniel Barenboim mène tambour battant un brillant orchestre (Staatskapelle Berlin) – mais des chœurs moins éblouissants. On attend désormais la saison 2021-2022, pour découvrir la suite et fin du cycle (conçu, dans l’ordre Cosi fan tutte, Le nozze di Figaro, Don Giovanni, comme les trois étapes de la vie), après ce volet de qualité, très bien filmé par Andy Sommer et qu’on espère revoir, prochainement, en DVD.
FRANÇOIS LEHEL
PHOTO © MATTHIAS BAUS