Comptes rendus Montéclair fêté à Budapest
Comptes rendus

Montéclair fêté à Budapest

04/04/2019

Müpa, 11 mars

Avec plus de cent représentations sur une période de vingt-neuf ans, Jephté de Michel Pignolet de Montéclair (1667-1737) se distingue comme le plus grand succès de l’Académie Royale de Musique au XVIIIe siècle. Si son sujet biblique – cas unique, puisque David et Jonathas de Charpentier était destiné, non à la scène de l’Opéra, mais aux Jésuites – lui attira bien des détracteurs, au premier rang desquels Voltaire (auteur, avec Rameau, d’un Samson retoqué par la censure), la musique obtint les faveurs du public, qui se pressait aux représentations durant le Carême.

La partition est, en effet, d’une grande originalité, tant dans sa version originelle, créée en février 1732, et ressuscitée, en concert et au disque, par William Christie, voici plus d’un quart de siècle, que dans la révision de 1737 – la dernière du vivant de Montéclair, décédé pendant les répétitions. C’est cette mouture que le Centre de Musique Baroque de Versailles (CMBV) a choisi de révéler, nouvelle étape de sa collaboration fructueuse avec le chef hongrois György Vashegyi.

Remis pour la troisième fois sur le métier par le compositeur, l’ouvrage gagne en concision, notamment au dernier acte, sans que ses audaces d’écriture ne soient sacrifiées, malgré la simplification de certains effets d’orchestration censément expérimentaux, dont Montéclair se rendit compte, peut-être, qu’ils n’étaient pas suffisamment audibles depuis la salle pour valoir la peine de mettre les instrumentistes au défi de les réaliser.

Sans doute Jephté ne contient-il pas « assez de musique pour faire dix [opéras] », ainsi que se serait exclamé Campra à l’écoute d’Hippolyte et Aricie, qui allait marquer, dix-huit mois après le triomphe initial de la « tragédie tirée de l’Écriture sainte » de Montéclair, l’irruption de Rameau dans l’arène théâtrale. Mais il mérite mieux que quelques exécutions sporadiques, voire même une production scénique, qui permettrait d’atténuer les longueurs de certaines pages dispensables au drame.

La fluidité est la qualité première de la direction de György Vashegyi, à la tête d’un Orfeo Orchestra dont l’acoustique du Müpa tend parfois à diluer la clarté dans un halo trop uniforme, et d’un Purcell Choir au français limpide, témoignant d’une sorte de ferveur des convertis. Les danses s’appuient sur un rebond modéré, étranger à toutes gesticulations inutiles, comme à toute pesanteur, tandis que l’action avance sans heurt – au point de négliger une variété d’accentuation qui permettrait d’en muscler la conduite.

Il faudrait, aussi, un interprète du rôle-titre plus habité par le dilemme de Jephté que Tassis Christoyannis. Timbre au métal policé, le baryton grec chante, comme à son habitude, admirablement, mais ne sort le nez de sa partition que pour quelques éclats vocaux, qui sont loin de dessiner une incarnation. L’éloquence, en revanche, ne manque pas à Thomas Dolié, que Phinée contraint cependant à naviguer dans une tessiture trop grave, et du même coup à empâter son émission.

Gloire, dès lors, aux hautes-contre, en dépit d’emplois beaucoup moins développés. Dans les quelques phrases d’Abdon, Clément Debieuvre affirme les promesses d’un ténor particulièrement haut perché qui, une fois parvenu à maturité, pourra prétendre à certains exploits hors de portée, quand Zachary Wilder projette loin devant un Ammon d’une lumière intrépide.

Gloire à ces dames, surtout. Car Iphise possède assez d’épaisseur pour que Chantal Santon Jeffery ne paraisse pas, comme trop souvent, sous-employée – à quand désormais une héroïne authentiquement tragique, qui tendrait un vibrato un rien émollient, et libèrerait sa palette de son fond de placidité ?

Mais c’est chez Judith van Wanroij, Almasie aux consonnes percutantes, que l’art de débiter, défini dans l’Encyclopédie par Louis de Cahusac, dernier librettiste de Rameau, atteint son plus haut degré d’accomplissement : « Débiter est chanter un rôle avec rapidité, en observant les temps, en répandant sur le chant l’expression, les nuances nécessaires ; en faisant sentir les choses de sentiment, de force, de tendresse, de vivacité, de noblesse, & tout cela sans manquer à la justesse & à l’articulation, & en donnant les plus beaux sons possibles de sa voix. »

En somme, une superbe leçon de déclamation, dont l’enregistrement du concert, à paraître chez Glossa, immortalisera le précieux témoignage.

MEHDI MAHDAVI

PHOTO © MÜPA BUDAPEST/JÁNOS POSZTÓS

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