Teatro alla Scala, 18 juin
À la fin des années 1770, à l’époque où il écrit Die Räuber (Les Brigands), la pièce de théâtre dont Andrea Maffei tirera le livret d’I masnadieri, le jeune Schiller était l’élève de la Hohe Karlsschule de Stuttgart, académie où régnait une stricte discipline. David McVicar situe donc sa nouvelle production du onzième opéra de Verdi – créé à Londres, le 22 juillet 1847 –, dans l’atmosphère rugueuse d’une école militaire de la deuxième moitié du XVIIIe siècle.
Le décor est unique : un grand salon, surmonté d’une galerie percée de vastes fenêtres. Un escalier, sur la gauche, permet de passer de l’un à l’autre, la partie droite du dispositif étant occupée par une imposante statue, posée sur un piédestal – vraisemblablement celle du duc Charles II de Wurtemberg, qui avait obligé le futur écrivain et dramaturge à intégrer l’école qu’il avait fondée.
Les « brigands » du titre sont évidemment les cadets de l’académie, dont l’esprit de rébellion et les lubies, souvent d’un caractère violent, sont montrées de manière explicite, sous le regard d’un personnage omniprésent et muet : le jeune Schiller, bien décidé à écrire sa première pièce de théâtre.
David McVicar n’oublie pas de fouiller, en parallèle, la psychologie des protagonistes : Carlo, intellectuel mélancolique, constamment écartelé entre le bien et le mal ; Amalia, cocktail explosif de sensualité et d’innocence ; Francesco, dont la jalousie et l’ambition effrénée cachent une âme dévorée par le remords ; Massimiliano, père passionné et déchiré.
La dégradation morale et la dérive vers toujours plus de violence des cadets-brigands sont illustrées par la désagrégation progressive du salon de l’académie, de plus en plus délabré au fil des actes. À signaler, également, la qualité de la direction d’acteurs.
À cette mise en scène réussie, Michele Mariotti répond par une direction musicale qui restitue fidèlement le climat sombre de la partition. Le son de l’orchestre est dense, l’arc dynamique tendu avec ampleur, le chef italien veillant à ne laisser de côté aucun détail instrumental. Bref, une lecture exemplaire, tant sur le plan théâtral que stylistique.
Le rôle d’Amalia, écrit sur mesure pour Jenny Lind, le célèbre « rossignol suédois », trouve en Lisette Oropesa une interprète idéale : legato savamment calibré, trilles et traits de virtuosité aussi brillants que précis, prononciation impeccable. À ces qualités, la soprano américaine ajoute de réels dons d’actrice, en mettant en relief la face double de l’héroïne : victime idéalisée, certes, mais aussi femme de chair et de sang, qui garde pied dans la réalité et choisit délibérément, à la fin, de mourir sous le poignard de Carlo.
Sous la baguette vigilante de Michele Mariotti, Fabio Sartori se montre plus nuancé qu’à l’ordinaire. Mais la voix, tout en conservant un éclat suffisant dans l’aigu, s’est épaissie dans le médium, au point de compromettre la flexibilité de l’émission. Du coup, Carlo perd une part de ce lyrisme douloureux et inquiet qui le caractérise.
Le timbre de Massimo Cavalletti semble avoir perdu l’émail de ses premières années de carrière. L’aigu manque de projection, le phrasé de souplesse et de mordant, lui interdisant de brosser un portrait crédible de Francesco. Splendide, en revanche, le Massimiliano de Michele Pertusi, qui compense l’usure des moyens par la noblesse de l’incarnation. Les comprimari sont acceptables, le chœur de la Scala rendant de manière exceptionnelle l’écriture rude et syncopée de Verdi.
Au rideau final, accueil chaleureux pour les chanteurs, à l’exception de Massimo Cavalletti, contesté par une partie de la salle. Quelques sifflets, également, pour Michele Mariotti, et un vrai brouhaha pour David McVicar et son équipe, dans les deux cas parfaitement immérités.
PAOLO DI FELICE
PHOTO © TEATRO ALLA SCALA/BRESCIA/AMISANO