1 CD Palazzetto Bru Zane BZ 1044
Compositeur fêté et admiré, membre de l’Institut, commandeur de la Légion d’honneur, André Messager (1853-1929) ne se repose pas pour autant sur ses lauriers. En janvier 1926, il donne, au Théâtre de la Michodière, une nouvelle opérette, ou plutôt une « comédie musicale », baptisée Passionnément. Trois actes, sur des paroles de Maurice Hennequin et Albert Willemetz – le premier, bien que dramaturge prolifique, est bien oublié aujourd’hui ; le second, en revanche, demeure l’un des représentants les plus célèbres de la chanson et du théâtre musical des «Années folles ».
Que dire du livret ? Il n’est ni pire, ni meilleur qu’un autre, mettant en scène des gens aisés (et l’une de leurs domestiques), aux prises avec des problèmes existentiels, dont le principal consiste à tromper leur conjoint – avec un soupçon de modernisme, sans doute osé pour l’époque, puisque le rideau tombe sur un futur divorce.
Faut-il voir une pointe de nostalgie à l’égard du temps qui passe, ou même d’amertume chez ces marionnettes pour lesquelles il est permis de ne pas éprouver la moindre empathie ? Dans l’invention verbale, comme dans l’enchaînement des péripéties, on est quand même des kilomètres en dessous de Sacha Guitry, avec lequel Messager avait signé L’Amour masqué, trois ans plus tôt.
Musicalement, force est de constater que, malgré les années, le compositeur de Véronique n’a rien perdu de son talent – la première de Passionnément fut, d’ailleurs, un succès. Se renouvelle-t-il vraiment? On perçoit, çà et là, des tournures mélodiques déjà employées, et s’il sacrifie au goût du jour en flirtant avec le jazz, c’est bien modestement. Mais personne ne lui en voudra de s’en tenir à la tradition ayant fait sa gloire, qu’il magnifie avec un charme n’appartenant qu’à lui.
Emblématique de cette partition distinguée et raffinée qui, contrairement au livret, porte allégrement son âge et réussit à transcender les sous-entendus les plus grivois, comme certains les aimaient alors, la « Valse » de l’acte II devint vite populaire, à juste titre.
Depuis le début de la pandémie, le Palazzetto Bru Zane s’est beaucoup consacré aux enregistrements. Celui-ci – publié dans sa belle collection « Opéra français » – mêle la captation d’un concert radiophonique, à Munich, le 13 décembre 2020, avec des prises effectuées les deux jours précédents. Un petit effectif orchestral, pas de chœur, six solistes : Passionnément avait, de fait, tout de l’ouvrage « Covid-compatible ». Sa parution est d’autant plus utile qu’il n’en existait, en tout et pour tout, que l’écho d’un autre concert radiophonique, à Paris, en 1964, jadis publié en CD dans la collection « Gaîté Lyrique ».
Sous la baguette énergique de Stefan Blunier, Armando Noguera donne un relief suffisant au capitaine Harris, chargé de mener le yacht du richissime William Stevenson. Chantal Santon Jeffery confère une pointe d’humanité à Hélène, épouse infidèle et maîtresse jalouse.
Le Robert Perceval d’Etienne Dupuis ne manque pas de séduction vocale, face à la Ketty Stevenson de Véronique Gens, dont la classe, l’élégance et la musicalité font merveille.
Nicole Car interprète joliment les airs de Julia mais, si la chanteuse est experte, l’actrice est en retrait. En revanche, le William Stevenson de l’excellent Éric Huchet est un modèle. À noter qu’un seul CD contient toute la musique ; le texte, lui, est offert intégralement dans le livre accompagnant le disque.
Deux ans après Passionnément, le duo Messager/Willemetz se reformera pour Coups de roulis – un véritable chef-d’œuvre, cette fois, à la hauteur de Véronique et de Monsieur Beaucaire. À quand un enregistrement digne de ce nom, et pourquoi pas un retour à la scène ?
MICHEL PAROUTY