Je n’étais pas entré dans une salle d’opéra depuis le 4 mars, pour Les Huguenots au Grand Théâtre de Genève. Autant dire une éternité pour le rédacteur en chef de la seule revue francophone uniquement dédiée à l’opéra ! J’attendais donc avec impatience Der Messias au Théâtre des Champs-Élysées, dans une production que je n’avais pourtant guère aimée lors de sa création à Salzbourg, en janvier.
En quittant le TCE, le 18 septembre, j’ai éprouvé une impression bizarre. Pas tant en raison de la distanciation physique entre les spectateurs, indispensable dans la mesure où Paris est en « zone de vigilance élevée » pour le Covid-19 – la même distanciation était déjà en vigueur à Genève, il y a six mois ! –, que pour le port du masque obligatoire pendant toute la durée de la représentation.
Je vais m’y habituer, bien sûr, comme je l’ai fait dans les transports en commun, mais ce sera sans doute plus difficile, le spectacle vivant étant, par définition, un lieu de partage. Et le partage ne peut pas être identique avec des visages recouverts aux trois quarts de tissu ou de polypropylène ! Ceci posé, le plaisir de retrouver le contact direct avec le théâtre lyrique a compensé plus que largement ce manque, pour moi comme pour le reste du public, à en juger par les cris de joie au rideau final de Der Messias.
Au moment où j’écris cet éditorial, je m’apprête à partir voir La traviata à Bordeaux, puis Il -barbiere di Siviglia à Montpellier, Tannhäuser à Rouen et Giovanna d’Arco à Metz. Un tour de France que, je l’espère, rien ne viendra contrarier. Car la menace est toujours présente, du chanteur testé positif alors qu’il était négatif jusque-là, au reconfinement localisé de la ville concernée. Les protocoles sanitaires à l’intérieur des théâtres sont stricts – et c’est normal ! –, et le moindre grain de sable peut mettre à l’arrêt toute la machine.
La pandémie a au moins eu un effet positif pour les maisons de disques. Le confinement du printemps, puis l’annulation de la plupart des festivals, et enfin la fermeture des grandes maisons d’opéra nord-américaines et britanniques, au minimum jusqu’en janvier 2021, ont allégé le calendrier de nombreux chanteurs, qui en ont profité pour investir les studios d’enregistrement.
Vous lirez, dans ce numéro, le reportage de Pierre Cadars sur la réalisation du nouvel album de Marianne Crebassa, avec l’Orchestre National du Capitole de Toulouse, à paraître chez Warner Classics & Erato. La multinationale l’a gravé la semaine suivant celui de Michael Spyres, avec l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, au programme ébouriffant : le « Récit du Graal » de Lohengrin (en français, comme Georges Thill jadis !), « Fuor del mar » d’Idomeneo, « Mes amis, écoutez l’histoire » du Postillon de Lonjumeau, mais aussi des airs pour baryton, comme « Hai già vinta la causa » des Nozze di Figaro, « Il balen del suo sorriso » d’Il trovatore ou « Largo al -factotum » d’Il barbiere di Siviglia. Le nom de ce récital ? Baryténor, sauf changement.
L’actualité, ces dernières semaines, a été également marquée par la disparition de Christiane Eda-Pierre, à laquelle je rends hommage plus loin dans ce numéro. Après Gabriel Bacquier et Mady Mesplé, l’année 2020 est décidément meurtrière pour les vedettes de la troupe de l’Opéra et de l’Opéra-Comique dans les années 1950-1960… Trois jours plus tard, l’excellent Patrick Davin nous quittait à son tour, brutalement, à l’âge de 58 ans, alors qu’il s’apprêtait à commencer une répétition à la Monnaie de Bruxelles. Une perte immense, tant ce vrai chef de fosse était à l’aise dans tous les répertoires.
Au moment de conclure, je souhaite adresser tous mes remerciements aux personnels artistiques, techniques et administratifs des théâtres. Depuis la rentrée, ils travaillent dans des conditions extrêmement pénibles – je pense, en particulier, aux services de billetterie, confrontés au cauchemar des attributions de sièges en fonction des normes de distanciation physique – et accomplissent des miracles pour satisfaire le public.
Or, ce dernier n’a pas la possibilité, à la fin de la représentation, de les féliciter comme l’ensemble des interprètes. Michel Franck, directeur général du TCE, l’a fait au micro, avant le début de Der Messias. Il a eu raison. De mon côté, je profite de cet éditorial pour le remercier, lui comme tous les autres patrons de théâtres ayant décidé d’ouvrir en septembre-octobre. Envers et contre tout, mais avec l’ambition de porter haut la flamme de l’opéra, et plus généralement de la culture, en ces temps de crise.