Palazzo Ducale, 30 juillet
L’Ecuba de Nicola Antonio Manfroce (1791-1813), compositeur disparu bien trop jeune, était, avec l’Orfeo de Porpora (voir plus loin), la pièce maîtresse de la 45e édition du Festival della Valle d’Itria.
Ressuscitée à Savone, en 1990, et captée sur le vif par Bongiovanni, cette « tragedia per musica », créée au San Carlo de Naples, le 13 décembre 1812, a souffert, à Martina Franca, du désistement de Fabio Luisi, remplacé par le jeune et inexpérimenté Sesto Quatrini. Pour rendre pleine justice à cette partition complexe, il aurait certainement fallu un chef plus armé, ainsi qu’une formation instrumentale plus aguerrie. Las, l’orchestre du Teatro Petruzzelli de Bari, aux ambitions et à l’inspiration réduites, n’a jamais été aidé par un maestro semblant ignorer les enjeux esthétiques de l’ouvrage.
Ecuba, en effet, où règnent les plus intenses et dévorantes passions, tente une synthèse entre le style déclamatoire propre à la « tragédie lyrique » française et celui défendu par l’école napolitaine, à laquelle appartenait Manfroce. Si le bel canto y tient encore une place importante, la virtuosité paraît intimement liée à une recherche expressive qui, tout en tirant les leçons du passé, se projette dans le futur par de subtiles expérimentations.
Sans surprise, Pier Luigi Pizzi règle un spectacle purement décoratif, où le blanc d’un décor unique en trois parties tranche avec le rouge pourpre des costumes. La seule image vraiment marquante reste celle où la dépouille d’Hector, tué par Achille, est exposée sur un autel, à la manière d’une déploration.
Grande figure rongée par la douleur et mue par un immarcescible désir de vengeance, Ecuba (Hécube), épouse de Priamo (Priam), roi de Troie, devait être incarnée par Carmela Remigio. Mais, le soir de la première, c’est finalement une inconnue de 23 ans (!), la soprano russe Lidia Fridman, formée à l’Accademia del Belcanto « Rodolfo Celletti » du Festival, qui a dû se mesurer à ce rôle exigeant.
Impossible, dans ces conditions, de goûter aux audaces vocales prêtées à une héroïne tout entière consumée par la souffrance et dont les imprécations finales, « Figlia ! e respiro ancora ? », ne sont pas loin de celles proférées par la Medée de Cherubini.
En Polissena (Polyxène), fille d’Ecuba et amoureuse d’Achille, Roberta Mantegna se montre très en deçà de sa réputation d’étoile montante, avec une voix grésillante et un chant peu ordonné, tandis que Martina Gresia, elle aussi soprano, exécute honorablement les courtes interventions de Teona, sa confidente.
Dans ce contexte, Norman Reinhardt fait plutôt bonne figure en Achille, dont il possède la vaillance et la présence physique, même si son art de la vocalise a sans doute peu à partager avec la vélocité de Manuel Garcia, légendaire créateur du rôle. Second ténor de la distribution, Mert Süngü, un habitué du Festival, manque cruellement de flamme et d’envergure pour venir à bout de Priamo, emploi taillé aux mesures hors norme d’une autre légende : Andrea Nozzari.
Remercions néanmoins le Festival d’avoir à nouveau braqué les projecteurs sur Ecuba, qui mérite vraiment que l’on s’y intéresse.
FRANÇOIS LESUEUR
PHOTO © CLARISSA LAPOLLA