Opéra, 20 octobre
Cette nouvelle production de Guillaume Tell, que Maurice Xiberras, directeur général et artistique de l’Opéra de Marseille, a eu le courage de maintenir pour l’ouverture de la saison 2021-2022, se ressent des contraintes sanitaires.
Sur le plan acoustique, d’abord. L’orchestre s’étale désormais sur la fosse recouverte et les huit premières rangées du parterre, débarrassées de leurs sièges. Assis au deuxième rang du balcon, on l’entend évidemment trop, sans que l’on puisse rendre le chef responsable de ce déséquilibre. Michele Spotti dirige cette musique exactement comme il faut, avec autant de tendresse que de sens du spectaculaire, à la tête d’une phalange en grande forme (splendide solo de Xavier Chatillon au violoncelle, dans l’Ouverture).
Sur le plan scénique, ensuite. Sans pouvoir installer les chœurs sur le plateau (ils sont rélégués sur des praticables en coulisse, parfois visibles derrière un tulle), Louis Désiré fait de nécessité vertu, avec un bonheur inégal. Passe pour le décor unique : trois parois servant d’écrans pour des projections de paysages montagneux ou sylvestres, un sol recouvert de terre battue, tantôt gris, tantôt ocre, selon les éclairages. Passe aussi pour les costumes (vestes et redingotes sombres pour les messieurs, robes droites pour les dames), même s’ils sont trop anonymes et monochromes.
Mais quelle idée d’utiliser les blocs de bois, seuls éléments mobiles du dispositif (avec une barque stylisée, un gros rocher descendant des cintres et un arbre), pour représenter le vestiaire d’un gymnase, au lever de rideau de l’acte II, puis une chambre nuptiale, au début du III ! Difficile de trouver introduction moins poétique à la sublime « Romance » de Mathilde que ce groupe de figurants/soldats, en train de se changer. Et image plus triviale et superflue que les étreintes de Mathilde et Arnold (torse nu), au milieu du lit !
Les ballets, si soignés par Rossini, sont remplacés par de maladroites pantomimes et la direction d’acteurs demeure basique. Le plus souvent abandonnés à eux-mêmes sur le plan scénique, les chanteurs sont heureusement, dans l’ensemble, à la hauteur des exigences vocales de la partition.
Avant d’en venir au trio principal, attardons-nous sur quelques performances du côté des seconds rôles. Jennifer Courcier est un Jemmy proche de l’idéal, à l’aigu puissant, qui aurait mérité qu’on ne coupe pas son air de l’acte IV, ni le trio qui l’unit à Mathilde et Hedwige. De forte présence, également, le Gesler de Cyril Rovery et le Walter Furst de Patrick Bolleire, dont la contribution au célèbre « trio patriotique » du II s’avère déterminante. Et comment ne pas saluer le joli timbre et le chant sûr de Carlos Natale en Ruodi, le jeune pêcheur ?
Si Arnold était écrit comme Otello, Norfolk (Elisabetta, regina d’Inghilterra) ou Rinaldo (Armida), trois emplois figurant déjà à son répertoire, Enea Scala n’appellerait aucune réserve. Sauf qu’Adolphe Nourrit, le créateur du rôle, s’inscrivait dans une tradition vocale très différente des « baritenori » de la période napolitaine de Rossini, champions du tour de force démonstratif.
La vaillance et l’éclat ne suffisent pas ici, et des contre-ut percutants, aussi impressionnants soient-ils, ne sauraient faire oublier un chant constamment poussé, efficace certes, voire émouvant par sa conviction, mais qui relègue au second plan la candeur juvénile, la vulnérabilité et la poésie du héros. En cette dernière représentation d’une série de quatre, l’instrument du ténor italien accuse, de surcroît, une fatigue perceptible.
Guillaume Tell arrive au bon moment dans la carrière d’Alexandre Duhamel. Le baryton français possède l’exact ambitus de cet emploi malcommode, à la fois très grave et très aigu, et son expérience de Golaud (Pelléas et Mélisande) lui est utile pour donner de la densité à son personnage de père.
Un énorme bravo, pour conclure, à Angélique Boudeville, qui trouve enfin un rôle à sa mesure avec Mathilde. En effet, ni Leïla (Les Pêcheurs de perles), ni Mimi (La Bohème) ne mettaient complètement en valeur ses remarquables moyens de grand soprano lyrique d’école française. La qualité du timbre, la franchise et l’égalité de l’émission, la puissance de l’aigu, la netteté de la diction se doublent d’une fougue dans l’accent et de capacités virtuoses qui culminent dans le redoutable « Pour notre amour plus d’espérance », à l’acte III.
Merci à Maurice Xiberras d’avoir offert à la jeune soprano française cette prise de rôle ! On l’attend maintenant en Marguerite (Faust), Mireille, Louise, voire Thaïs.
RICHARD MARTET
PHOTO © CHRISTIAN DRESSE