Theater an der Wien, 23 janvier
PHOTO : Alexandra Deshorties et Marlis Petersen.
Alexandra Deshorties (Elisabetta)
Marlis Petersen (Maria Stuarda)
Norman Reinhardt (Roberto, conte di Leicester)
Stefan Cerny (Giorgio Talbot)
Tobias Greenhalgh (Lord Guglielmo Cecil)
Natalia Kawalek (Anna Kennedy)
Paolo Arrivabeni (dm)
Christof Loy (ms)
Katrin Lea Tag (dc)
Bernd Purkrabek (l)
Christof Loy est un immense metteur en scène, absurdement ignoré par les maisons d’opéra françaises. Son goût pour le bel canto, forgé grâce à la découverte des enregistrements sur le vif de Maria Callas, l’a incité à monter des ouvrages devant lesquels la plupart de ses confrères se bouchent le nez. Maria Stuarda ne fait pas exception. Et pourtant, sur le plateau du Theater an der Wien, tous les éléments concourent au miracle d’une grande soirée lyrique – non seulement musicale, mais aussi théâtrale, donc.
Il est difficile, dès lors, de dissocier le travail de Christof Loy des incarnations majeures, et formidablement complémentaires, d’Alexandra Deshorties et de Marlis Petersen, comme de la direction de Paolo Arrivabeni, alliage idéal de tension continue et de mobilité des phrasés, qui sait aussi suspendre le temps dans un hymne à la mort supérieurement chanté par l’Arnold Schoenberg Chor. C’est que tous, dans un seul et même élan, servent l’œuvre, plutôt que de s’en servir.
Seule ombre au tableau, le Leicester de Norman Reinhardt s’avère bien vite en deçà, malgré une couleur aussi séduisante que le permet une émission étroite, de la ductilité exigée par une écriture qui lui arrache de ridicules cris de souris au paroxysme de la passion. Et si d’autres que Natalia Kawalek et Tobias Greenhalgh ont su davantage tirer parti des interventions d’Anna et de Cecil, Stefan Cerny sculpte les suppliques de Talbot dans une basse au grain noir et dense.
Après Roberto Devereux et Elisabetta, regina d’Inghilterra – et avant ses débuts dans Gloriana au Teatro Real de Madrid –, le rôle de la « reine vierge » est devenu comme une seconde peau pour Alexandra Deshorties. Dans la lignée de sa Medea de Cherubini au Grand Théâtre de Genève – avec Christof Loy, déjà –, la soprano canadienne s’impose, une nouvelle fois, comme une tragédienne d’exception.
Par un regard de feu et un maintien altier, qui laissent néanmoins transparaître les failles de la souveraine jalouse, car mal aimée. Par le mordant de la déclamation, soudain zébrée d’accents sauvages. Par l’intrépidité d’une colorature sans faille, et l’âpreté d’un instrument qui atteint manifestement ses limites dans le registre supérieur, mais porte à ébullition jusqu’à la moindre note.
Marlis Petersen est à l’opposé, mais non moins saisissante dans son appropriation d’une vocalité qui pourrait sembler étrangère à sa nature – celle d’une Konstanze, d’une Lulu surtout. La soprano allemande a d’abord une suprême intelligence de ses moyens, qu’elle ne contrefait, ni ne brusque à aucun moment. Instrumentale – et avec quelle grâce, quand le timbre se mouille de larmes, et quelle rectitude musicale ! –, ténue parfois, elle dessine une Maria Stuarda superbement charnelle, et d’une bouleversante dignité.
La sobriété des costumes – d’époque, quoique sans fioritures, dans la première partie, noirs et contemporains dans la seconde –, comme du décor de Katrin Lea Tag, arène de bois entourant un plan incliné, dont la lente rotation accompagne l’alternance entre scènes de cour et intimistes, rétablit l’équilibre. À l’instar d’une direction d’acteurs précise et sans esbroufe, entre les forces et les faiblesses de chacune de ces figures historiques, que des imaginaires romanesques ont progressivement élevées au rang de mythes.
Ainsi soustraites aux stéréotypes imposés par les rivalités entre prime donne, et préservées des circonlocutions dramaturgiques par lesquelles certains prétendent enrichir l’intrigue d’arrière-plans soi-disant signifiants, les reines sont enfin nues.
MEHDI MAHDAVI