Opéra, 25 janvier
L’Opéra de Toulon présente, avec une magnifique distribution, la production niçoise de Turandot, créée en novembre 2014, dont notre confrère François Lehel avait vivement loué l’intelligence (voir O. M. n° 102 p. 50 de janvier 2015).
Le metteur en scène italien Federico Grazzini, rappelons-le, privilégie le conte de fées dans sa dimension symbolique : Pékin n’est pas un lieu réel, mais le royaume des ténèbres, territoire où la lumière n’entre pas, tombeau que le décor unique d’Andrea Belli restitue en une sorte d’arène, disposée sur deux niveaux. Au cours du cheminement personnel des deux protagonistes, Calaf porté par l’espoir, Turandot emmurée dans le cauchemar ancestral, nous assisterons à la transformation du décor, des ténèbres vers la lumière.
Cette conception s’ordonne au finale composé par Luciano Berio, en 2001, à partir des esquisses de Puccini. Jurjen Hempel, directeur musical de l’Opéra de Toulon, construit l’interprétation à partir de la modernité harmonique puccinienne et de l’idée selon laquelle le compositeur – tels sont les termes de ses carnets – s’est proposé de « décortiquer l’âme de Turandot » et de tendre les nerfs des spectateurs « comme les cordes de violoncelles gémissants ».
Ni grandiloquence, ni éclat superficiel : le chef néerlandais fait preuve d’une extrême attention aux tensions. L’Orchestre de l’Opéra de Toulon répond magnifiquement à ses intentions et le Chœur, renforcé pour l’occasion, comme la Maîtrise du Conservatoire Toulon Provence Méditerranée, sont exemplaires.
La soprano bulgare Gabriela Georgieva, sculpturale Turandot, possède l’aigu tranchant et la « distance » essentielle. Si l’on croit moins à son humanisation et à sa transformation en une amoureuse, la magie du finale restitué peut suppléer.
Amadi Lagha,chanteur franco-tunisien qui interprète Calaf de Shanghai à Torre del Lago, offre la révélation d’un authentique ténor à l’émission haute, à l’aigu rayonnant, à la diction parfaite. Le phrasé, la musicalité, l’élan habitent ses deux airs et la scène des énigmes. Il concilie ce que tant d’autres disjoignent : l’humanité et la vaillance.
On ne manque pas de Liù bien chantantes. La soprano guatémaltèque Adriana Gonzalez est exceptionnelle : voix homogène, timbre lumineux, elle ravit d’emblée par un si bémol radieux sur les mots « mi hai sorriso », puis délivre deux grandes interprétations de « Signore, ascolta ! » et de « Tu, che di gel sei cinta ».
Les chefs-d’œuvre appellent la redécouverte. À Toulon, elle était au rendez-vous.
PATRICE HENRIOT
PHOTO : © FRÉDÉRIC STÉPHAN