Comptes rendus Macbeth ouvre la Scala
Comptes rendus

Macbeth ouvre la Scala

09/12/2021

Teatro alla Scala, 7 décembre

Macbeth à la Scala, c’est une glorieuse histoire. Après sa renaissance, sous la baguette de Gino Marinuzzi, en 1938, le chef-d’œuvre oublié du jeune Verdi retrouve ses lettres de noblesse, en 1952, grâce à Victor De Sabata et Maria Callas, avant que Claudio Abbado, en 1975, puis Riccardo Muti, en 1997, ne le magnifient à des stades inégalés.

Autant de jalons indispensables de l’art lyrique ; autant de miroirs, aussi, de leur époque, avec une sensibilité particulière. Conscient d’un tel héritage, Dominique Meyer a commandé, pour l’ouverture de la saison 2021-2022, une nouvelle production qui brise les codes de la tradition et assume, sans complexe, l’imaginaire de notre temps.

Le plateau devient une immense salle de réalité virtuelle : Macbeth déverse son lot de violences et de convoitises, entouré d’écrans géants où défilent, tour à tour, les horizons de métropoles scintillantes ou des périphéries urbaines ravagées. Le monde extérieur – la réalité « vraie » – se fait projection des pulsions individuelles. L’épée brandie par Macbeth en est l’outil suranné et cynique : puissante manette d’un jeu vidéo, avec des effets bien concrets, de l’assassinat de ses adversaires jusqu’à la dévastation de la cité entière.

Comme toujours, Davide Livermore fait un usage virtuose des moyens technologiques. La vidéo multiplie les perspectives, tout en fusionnant avec des décors fastueux. Le château du couple maléfique ressemble ainsi à un loft new-yorkais, au sommet d’un gratte-ciel ; le metteur en scène italien a cru bon de le nommer « Scottish Court Tower », comme pour lever toute ambiguïté sur l’allusion à Donald Trump.

On entre chez les Macbeth, en empruntant un ascenseur, omniprésent et symbolique : c’est par là que Banco, en chair et en os, puis en spectre, vient rendre visite au nouveau roi ; c’est là que Macbeth fête son élan retrouvé, en copulant brutalement avec sa femme ; et c’est encore l’ascenseur qui renverra l’usurpateur blessé à mort.

Le charme visuel opère, surtout aux deux premiers actes, avec des tableaux dignes tantôt d’un thriller dystopique, tantôt d’un salon viscontien – la scène du banquet est un pur bonheur esthétique. Rien ne peut, toutefois, masquer une certaine impression de lourdeur. La narration est fragmentée, le mouvement ne décolle pas, la tension peine à monter.

Au III, le spectacle ne montre plus que ses défauts, tant il oscille entre illustration littérale ou convenue – table mouvante des sorcières, défilé de rois en costume médiéval – et pantomimes aux allures de clip pop-rock, surchargées et incompréhensibles, quand elles ne frôlent pas le ridicule – Lady Macbeth contrainte à un numéro inutile et grossier.

Reste à saluer, au dernier acte, le refus de toute logique manichéenne, illustré par cette grille qui renferme le peuple pleurant sur son sort, aussitôt trahi par une délivrance illusoire : la fin d’une oppression n’est que le début d’une nouvelle tyrannie. Cette vision pessimiste, où le bien, la vertu, la justice n’ont aucune place, ne suffit pas à donner des ailes à une production inégale, largement huée aux saluts.

Franc succès, en revanche, pour Luca Salsi, Macbeth crédible, intense, habité. Sans ménager ses forces, le baryton italien fait preuve d’une belle puissance dramatique, quitte à pousser son chant, constamment tendu, aux limites de la déclamation. Si l’on cherche en vain la noblesse de ses plus illustres devanciers, son « Pietà, rispetto, onore » mérite des éloges.

Du reste de la distribution masculine, on apprécie le legato souverain d’Ildar Abdrazakov en Banco, qui manque juste de tonus dans la tierce grave. Côté ténors, on salue la vaillance du jeune Ivan Ayon-Rivas et l’éclat solaire de Francesco Meli, à deux doigts de livrer un « Ah, la paterna mano » d’anthologie.

La baguette de Riccardo Chailly est une sonde microscopique, traquant les moindres signes expressifs disséminés dans la partition, parfois au détriment de l’unité et de la respiration dramatique. Dans tous les cas, l’orchestre et le chœur, ainsi guidés, servent admirablement Verdi.

Anna Netrebko, enfin, même si elle a approfondi sa conception de Lady Macbeth, depuis ses débuts à Munich, en 2014, confirme que le rôle n’est pas vraiment fait pour elle, la voix demeurant trop riche et capiteuse. En légère méforme, de surcroît, la diva réussit, pourtant, à éblouir le public dans une scène de somnambulisme conduite à fleur de peau, tout en demi-teintes d’une variété admirable.

De quoi compenser, en partie, un sentiment général de déception.

PAOLO PIRO

PHOTO © TEATRO ALLA SCALA/BRESCIA E AMISANO

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