Comptes rendus Ludovic Tézier, bouleversant Simon Boccanegra
Comptes rendus

Ludovic Tézier, bouleversant Simon Boccanegra

23/11/2018

Opéra Bastille, 21 novembre

Aura-t-on bientôt fini de présenter Calixto Bieito comme traînant derrière lui une persistante odeur de soufre ? Sa Carmen – arrivée à l’Opéra Bastille en 2017, presque vingt ans après sa création – n’avait vraiment rien d’iconoclaste ; et ce n’est pas ce nouveau Simon Boccanegra qui va pimenter la sauce.

Que Bieito ne s’intéresse qu’au personnage éponyme, rien de plus normal ; mais qu’il néglige volontairement les conflits politiques, si présents dans l’ouvrage, est inexplicable. Du coup, la scène imposante du Conseil devient anodine, ledit Conseil se résumant à deux pelés et trois tondus.

Oublions l’actualisation qui fait figure de cliché, et les costumes hideux, venus d’un sordide décrochez-moi-ça. Reste un portrait attachant de l’ex-corsaire choisi comme doge de Gênes, inconsolable de la perte de sa bien-aimée, dont le spectre sanguinolent est omniprésent – mais que, en guise d’entracte, ce même cadavre, filmé de manière à occuper tout le rideau de scène, soit petit à petit recouvert par des rats est, au choix, affligeant ou d’un comique involontaire.

Dans le décor tournant spectaculaire mais vite encombrant de Susanne Gschwender, carcasse de bateau, structure de demeure patricienne, ou sans doute espace mental abritant les tourments du héros, Simon va droit à sa perte. Si Bieito réussit quelques beaux affrontements, ceux qui opposent Boccanegra à Fiesco, entre autres, il ne tire pas grand-chose des rapports entre Maria/Amelia et son père retrouvé – une situation des plus mélodramatiques, jeu dans lequel il se refuse à entrer.

Faute de souscrire entièrement à une mise en scène en dents de scie, il faut chercher quelques satisfactions dans la musique et le chant. Pourquoi avoir distribué Gabriele à Francesco Demuro, charmant ténor face à un emploi trop large pour lui, qui l’oblige à forcer dès le haut médium et l’expose à des problèmes d’intonation dans l’aigu ?

Pleinement investie, Maria Agresta, interprète dont on ne peut nier la probité, campe une Maria/Amelia honnête, mais dénuée de rayonnement et de poésie, dont le timbre peine à séduire. Paolo, le « méchant » de l’histoire, revient à Nicola Alaimo, aux sombres couleurs : il serait injuste de lui reprocher de faire passer la plasticité de la ligne vocale sur l’engagement dramatique.

Mika Kares est un Fiesco de fière allure, encore un peu jeune, sans doute, pour exprimer la complexité du père anéanti par la douleur et du noble exilé ; mais la voix est là, pleine sur toute la longueur, et la présence aussi.

Pivot de l’intrigue, Ludovic Tézier incarne un bouleversant Boccanegra, dont Bieito pouvait, théâtralement, tirer encore davantage, sans alourdir son travail par une vidéo et des gros plans qui sont l’une des plaies de la mise en scène lyrique actuelle. Vocalement, le baryton français est à son zénith, dans une écriture qui met en valeur son aisance, la qualité de son phrasé, sa manière de charger d’émotion chaque mesure.

Élégante et souple, la direction de Fabio Luisi laisse la partition respirer et miroiter, rendant justice à une orchestration chatoyante. Ce flot musical, qui coule avec naturel, sans jamais perdre le théâtre de vue, aurait parfois besoin d’un rien de tension supplémentaire – dans le grand finale du premier acte, par exemple, qui capte immédiatement l’attention de l’auditeur, mais sans jamais le prendre aux tripes. Mais on se doit de saluer une maîtrise et une classe qui ne sont pas monnaie courante.

MICHEL PAROUTY

PHOTOS : Ludovic Tézier. © OPÉRA NATIONAL DE PARIS/AGATHE POUPENEY

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