Bâle, Theater Basel, 2 novembre
Début très médical pour cette Lucia di Lammermoor bâloise, signée par Olivier Py, avec, en guise de rideau de scène, le célèbre tableau d’André Brouillet, Une leçon clinique à la Salpêtrière (1887), présentation publique d’une patiente hystérique par le neurologue Jean-Martin Charcot.
Cette image une fois escamotée, le plateau reproduit quasiment la même configuration initiale : Lucia sur un lit d’hôpital, en plein accès de pâmoison, hypnotisée par Raimondo, devenu médecin pontifiant en blouse blanche, devant une studieuse assistance chorale vêtue de noir.
Visiblement, l’héroïne de l’opéra souffre, dès le départ, d’une pathologie mentale invalidante. Mais plus son destin bascule dans la tragédie, plus ses tourments hallucinatoires se matérialisent d’une façon insistante : toute une chorégraphie lugubre se met alors en place, avec danseurs moulés et encagoulés de noir, ailes de corbeaux géantes… De nombreux manèges aussi, qui font tourner sur les murs les silhouettes menaçantes de scènes de chasse fantastiques et macabres.
Le tout essentiellement en noir, gris et blanc, comme souvent dans les travaux très construits du décorateur Pierre-André Weitz, avec pour point culminant, au début de la scène de la folie, une énorme avalanche de cendres de papier couleur d’encre, qui tombe des cintres et vient maculer d’une myriade de petits rectangles noirs la robe blanche de Lucia, semblant y adhérer comme par enchantement…
La troupe bâloise a été peu mise à contribution, la difficulté des rôles exigeant, pour la plupart, le recours à des chanteurs davantage lancés dans une carrière internationale. Mais les choix sont heureux, en particulier pour la Lucia exceptionnelle de Rosa Feola : velours superbe sur toute la tessiture, intonation infaillible, y compris dans le suraigu (au prix de quelques discrètes transpositions pour les airs les plus exposés), vocalises d’une rare précision… Ne manque parfois à ce chant que la secrète fêlure qui pourrait le rendre plus bouleversant encore, mais que de beautés musicales dispensées !
Un rien en deçà, l’Edgardo du jeune Fabian Lara, au beau potentiel, mais avec un aigu qui fatigue parfois, du fait d’une émission pas toujours bien contrôlée, et l’Enrico très musclé, à tous points de vue, y compris la carrure physique, d’Ernesto Petti.
Deux autres atouts, encore, pour cette soirée très réussie : le Raimondo de Tassos Apostolou, au somptueux legato, et la direction vigilante de Giampaolo Bisanti, qui obtient un résultat orchestral d’une élégance souvent remarquable.
LAURENT BARTHEL
PHOTO : © SANDRA THEN