La valeur n’attend pas, paraît-il, le nombre des années. Un propos que confirme Reynaldo Hahn. Il est à peine âgé de 17 ans, lorsqu’il entreprend, en 1891, la composition de L’Île du rêve – il faudra toutefois attendre le 23 mars 1898, pour que l’œuvre soit enfin créée à Paris.
Ouvrage de jeunesse, certes, mais qui séduit par son élégance, son charme mélodique – même si aucun « air » ne se détache vraiment de cette partition, où tout s’enchaîne avec naturel –, le raffinement de son orchestration. Le principal écueil, la mièvrerie, est évité (de justesse, parfois) ; et l’on se laisse volontiers émouvoir par cette intrigue amoureuse sur fond d’exotisme, inspirée par Le Mariage de Loti.
Le Rochefortais et officier de marine Julien Viaud, dit Pierre Loti, est à la mode. Georges Hartmann et André Alexandre tirent de son roman un livret simplifié au maximum, sentimental à souhait, transfiguré par l’émotion qui se dégage de la musique. Les amours éphémères et malheureuses, contrariées par les barrières culturelles et sociales, font toujours recette à l’opéra, de Lakmé à Miss Saigon, en passant par Madama Butterfly. Ces trois actes très brefs – à peine une heure en tout – en apportent une nouvelle fois la preuve.
Cette Île du rêve, baignée de couleurs vaporeuses et transparentes, avait refait surface, en mai 2016, grâce au chef Julien Masmondet et au Festival « Musiques au Pays de Pierre Loti » (voir O. M. n° 118 p. 63 de juin), avant d’être reprise à l’Athénée Théâtre Louis-Jouvet, en décembre. Faute de pouvoir disposer d’un grand orchestre, douze musiciens avaient été requis pour jouer une transcription due à Thibault Perrine.
En janvier 2020, au Prinzregententheater de Munich, le temps de deux concerts diffusés en direct et enregistrés par le Palazzetto Bru Zane, on découvrait enfin la parure originale, irisée et chatoyante. Hervé Niquet a mis de côté sa fougue habituelle pour livrer une interprétation vivante mais nuancée, valorisant le goût et le talent d’un musicien encore trop sous-estimé, regardé de haut à l’époque, parce que trop jeune et étranger !
Le Chœur du Concert Spirituel intervient avec autant de délicatesse que de simplicité, l’excellence de la distribution venant à la fois de sa maîtrise de l’élocution française et de sa musicalité.
L’opulence vocale d’Anaïk Morel sied à la princesse tahitienne Oréna. Ludivine Gombert prête des accents passionnés à Téria, brisée par un amour déçu, et aux quelques répliques de Faïmana, sans illusion sur sa liaison avec Henri, un jeune officier. Le timbre généreux de Thomas Dolié et la noblesse de son chant font de lui un Taïrapa convaincant, sage lecteur de la Bible.
Artavazd Sargsyan, ténor à la voix claire, caractérise avec pertinence, et sans le caricaturer, le marchand chinois Tsen-Lee, qui espère de Mahénu un amour vénal. Cette dernière est confiée à Hélène Guilmette, délicieuse et cristalline, éprise de Georges de Kerven, dit Loti, que Cyrille Dubois incarne avec sa classe habituelle et son art d’habiter autant les mots que les notes. Leur long duo de l’acte I est un enchantement.
Première discographique mondiale, accompagnée d’un livre aux textes captivants, cette « idylle polynésienne », qui avait séduit Massenet, ne tardera pas à faire de nouvelles conquêtes.
MICHEL PAROUTY
1 CD Palazzetto Bru Zane BZ 1042
DIAMANT D’OPÉRA MAGAZINE