Théâtre Royal/www.operaliege.be, 6 mai
Ce concert, enregistré sans public, le 30 avril, puis diffusé en streaming sur le site de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, remplace la production d’Hamlet qui, prévue en octobre 2020, avait été annulée à l’issue de la générale, en raison de la crise sanitaire.
Florilège d’airs et d’ensembles, composés entre 1863 et 1892, son programme, baptisé « Hamlet et le romantisme à la française » et confié à trois chanteurs belges, entend montrer comment Ambroise Thomas (Hamlet), Jules Massenet (Werther) et Georges Bizet (Les Pêcheurs de perles) ont, chacun à leur manière, suivi, voire façonné, ce courant littéraire et musical emblématique du XIXe siècle.
Avec un tel sens de la déclamation, une diction aussi idoine, un timbre si racé et un aigu si clair, Lionel Lhote est l’Hamlet rêvé. Des trois extraits qu’il interprète, dont le duo « Vains regrets ! », partagé avec la gracieuse soprano Jodie Devos, le baryton saisit toutes les facettes de ce personnage, dont l’âme torturée, les sautes d’humeur et la solitude constituent le socle. Le recours à l’ivresse (« Ô vin, dissipe la tristesse ») n’y fera rien : Hamlet s’isolera toujours davantage, avant de dialoguer avec la mort dans le célèbre monologue « Être ou ne pas être », admirablement expressif.
Entrecoupée de pages jouées par l’excellent Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, très pertinemment dirigé par le chef français Guillaume Tourniaire, cette première partie se conclut avec la scène de folie d’Ophélie (« À vos jeux, mes amis »). Jodie Devos restitue intelligemment la douleur et le délire mortifère de la malheureuse, poussée dans ses derniers retranchements.
Après la noirceur shakespearienne, place au désespoir goethéen avec Werther. Le ténor Marc Laho endosse avec sobriété le rôle-titre, trouvant les ressources nécessaires pour affronter l’écriture escarpée des airs « Ô Nature, pleine de grâce » et « Pourquoi me réveiller », abordés avec assurance. D’une fraîcheur exquise, exempte d’affectation, Jodie Devos emporte l’adhésion en Sophie (« Frère, voyez… Du gai soleil »).
Autre aspect de ce « romantisme à la française », enfin, avec Les Pêcheurs de perles. Lionel Lhote offre à Zurga un chant élégant, admirablement homogène, sur lequel passent, avec la même maîtrise, le remords, la rage ou la honte dans son grand air (« L’orage s’est calmé… Ô Nadir, tendre ami de mon jeune âge ! »). Aux côtés de ce musicien rare, Marc Laho tient bon, malgré les quelques aigus tirés qui entachent son Nadir, aujourd’hui bien à l’étroit dans la tessiture du duo « Au fond du temple saint ».
En guise d’adieu, le trio revient avec un extrait du Toréador d’Adolphe Adam (Paris, 1849) : les délicieuses variations amoureuses sur « Ah ! vous dirai-je, maman », dominées par les vocalises jaillissantes de Jodie Devos (Coraline), agréablement entourée par Lionel Lhote (Don Belflor, le mari) et Marc Laho (Tracolin, l’amant).
FRANÇOIS LESUEUR
PHOTO : Lionel Lhote et Jodie Devos. © OPÉRA ROYAL DE WALLONIE-LIÈGE