Finies les mauvaises nouvelles, du moins espérons-le ! Au jour où j’écris cet éditorial, mercredi 20 mai, il y a suffisamment d’indices de reprise de l’activité pour que je ne m’appesantisse pas sur la liste des festivals annulés depuis le bouclage du dernier numéro d’Opéra Magazine : Bregenz, La Chaise-Dieu, Glyndebourne, Peralada, Santa Fe… Elle est malheureusement longue avec, pour chacune de ces manifestations, de lourdes conséquences psychologiques, sociales et financières.
Pourtant, comme le montre l’enquête « Le monde de l’opéra dans la crise », que nous publions ce mois-ci, chaque personne interviewée, après avoir dressé le triste constat des dégâts causés par le Covid-19 dans l’univers lyrique, essaie de se projeter dans un avenir plus heureux. Les nouvelles parvenues d’Orange, Pesaro, Rome, Salzbourg ou Vérone, ces derniers jours, constituent autant de signaux encourageants.
Après l’annulation de l’ensemble de la programmation 2020, les Chorégies ont réussi à monter un concert sans public au Théâtre Antique, qui sera retransmis sur France Télévisions, le 1er août (voir, plus loin, l’interview de Jean-Louis Grinda). Le « Rossini Opera Festival » a imaginé, pour le mois d’août, une édition allégée, sans rien céder en termes de qualité et de prestige (voir nos pages « Actualités » de ce numéro).
Ayant renoncé à son rendez-vous estival dans les Thermes de Caracalla, le Teatro dell’Opera de Rome le remplace par des spectacles et concerts, également en plein air, sur la Piazza di Siena, dans le parc de la Villa Borghese. Tous les détails sont loin d’être réglés, s’agissant notamment de la distanciation sociale au sein de l’orchestre, des chœurs et des solistes – pour le public, la règle est d’espacer les sièges, sachant qu’il ne doit pas y avoir plus de mille personnes sur les lieux, artistes, techniciens et spectateurs confondus. Mais, en juillet, Rigoletto devrait illuminer la nuit romaine, dirigé par Daniele Gatti et mis en scène par Damiano Michieletto.
Au Festival de Salzbourg, l’optimisme est plus que jamais de rigueur, s’agissant de son édition du Centenaire. Selon les dernières informations publiées dans la presse autrichienne, les grandes productions lyriques annoncées vont disparaître, remplacées par des événements sur lesquels on en saura davantage, à partir du 25 mai. Une chose semble sûre : la manifestation n’ouvrira pas en juillet, comme prévu, mais en août.
À Vérone, enfin, l’ensemble de la programmation prévue a été décalée à l’été 2021, mais Cecilia Gasdia, la surintendante, réfléchit à une série d’événements pour le mois d’août, dans un amphithéâtre spécialement aménagé pour garantir la sécurité sanitaire des artistes et des spectateurs, auxquels participeraient de prestigieux chanteurs : Anna Netrebko, Lisette Oropesa, Marina Rebeka, Sonya Yoncheva, Placido Domingo, Vittorio Grigolo, Leo Nucci…
Voici pour l’été. Mais qu’en sera-t-il de la réouverture des théâtres, en septembre ? C’est la question qui agite tous les esprits, d’autant que, contrairement aux festivals dont nous venons de parler, la très grande majorité d’entre eux n’ont pas la possibilité de se rabattre sur le plein air.
En France, le mystère le plus complet plane sur la rentrée. En effet, qu’elles aient ou non déjà annoncé le contenu de leur saison 2020-2021, les maisons d’opéra réfléchissent à un « plan B ». Certaines l’ont déjà finalisé, comme l’Opéra de Lyon, qui le mettra à la disposition du public sur son site, le 25 mai. L’Opéra National de Paris, lui, pourrait carrément fermer au quatrième trimestre, à en croire son directeur général. Jugeant inapplicables les règles de sécurité envisagées à ce stade par les pouvoirs publics, Stéphane Lissner n’écarte pas l’idée de réaliser, entre septembre et décembre, les travaux prévus pour l’été 2021.
À l’étranger, c’est en Italie que cela bouge le plus. Dominique Meyer, nouveau surintendant de la Scala de Milan, prévoit une réouverture en septembre : Requiem de Verdi dans le Duomo, en mémoire des victimes du Covid-19, puis Neuvième Symphonie de Beethoven dans le théâtre même, en hommage aux soignants, les deux fois avec Riccardo Chailly à la baguette. Devraient suivre trois reprises : La traviata, en septembre également (Zubin Mehta/Liliana Cavani), Aida, en octobre (Chailly/Franco Zeffirelli) et La Bohème, en novembre (chef à définir/Zeffirelli).
Fortunato Ortombina, surintendant de la Fenice de Venise, veut aller plus vite. Il envisage une réouverture dès la fin du mois de juin, ou en juillet, dans un théâtre spécialement réaménagé pour garantir la sécurité de tous, avec seulement des concerts dans un premier temps. Pas plus de trois cent cinquante spectateurs, entrant par groupes de trente ; contrôle de la température corporelle ; quatre personnes par loge au maximum, deux si elles ne font pas partie de la même famille (le parterre, d’où l’on aura retiré les sièges, accueillera les musiciens).
Des conditions on ne peut plus restrictives, comme elles le seront probablement dans tous les théâtres à travers le monde, à partir du moment où ils décideront de rouvrir leurs portes. On peut s’en désoler, mais n’est-ce pas préférable à un baisser de rideau qui s’éternise ?
Pour les prochains développements de la crise, je vous donne rendez-vous dans notre numéro de juillet-août, où figurera un hommage au grand Gabriel Bacquier, disparu le 13 mai dernier.
RICHARD MARTET