Dans son récital de cantates baroques allemandes, publié chez Harmonia Mundi, Andreas Scholl incluait déjà une pièce vocale de Philipp Heinrich Erlebach (1657-1714). D’une structure strophique un peu monotone, mais d’un beau raffinement mélodique, Wer sich dem Himmel übergeben retenait l’attention. Il est d’ailleurs possible que l’idée de ce nouveau disque, consacré entièrement à Erlebach par Damien Guillon, grand admirateur du contre-ténor allemand, vienne de là.
Avec Buxtehude et Pachelbel pour contemporains, donc situé historiquement entre la génération des vieux maîtres, Schein et Schütz, et celle des plus modernes, Bach, Telemann et Haendel, Erlebach est resté, pendant toute sa carrière, au service du même nobliau de Thuringe. Mais l’essentiel de son œuvre, un millier de compositions, a disparu au cours de l’incendie qui a ravagé la bibliothèque du château de Rudolstadt, en 1735.
Les quelques dizaines de recueils ayant survécu au désastre suffisent, cependant, à lui assurer une certaine notoriété musicologique, en raison de la richesse de son style allemand « en devenir », nourri d’intéressantes influences italiennes et françaises.
Au-delà de ces considérations historiques, ce beau récital, gravé en studio, en septembre 2020, passionnera surtout pour l’intensité de l’interprétation de Damien Guillon, qui transcende un propos parfois difficile, ces pièces vocales paraissant souvent relativement longues, du fait de leurs répétitions strophiques. Car opère ici un véritable charme, celui d’une voix de falsettiste aux couleurs rares et subtiles, jamais forcées.
Dans Wer sich dem Himmel übergeben, la comparaison avec Andreas Scholl est intéressante : la voix de Damien Guillon n’a pas la même autorité, mais l’interprète paraît plus souple, s’aidant, de surcroît, d’un tempo nettement plus allant.
D’ailleurs, même quand le contre-ténor français se tait, on retrouve une luminosité et une énergie similaires dans son ensemble instrumental, Le Banquet Céleste, pour deux sonates en trio, aux sonorités plus fines que leurs rares versions discographiques rivales.
Un joli programme, qui nous fait habilement oublier l’austérité de son propos.
LAURENT BARTHEL
1 CD Alpha Classics ALPHA 725