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Comptes rendus

Les Contes d’Hoffmann enchantent Lausanne

16/10/2019

Opéra, 2 octobre

Deuxième nouvelle production des Contes d’Hoffmann en quinze jours et un constat : pour une durée de représentation équivalente (trois heures et quarante-cinq minutes environ, avec deux entractes), nous n’avons pas entendu le même opéra qu’à Bordeaux (voir plus haut) !

S’appuyant sur l’édition Choudens de 1907, avec des compléments empruntés à celle de Fritz Oeser (1976), Lausanne propose d’abord un acte de Venise presque entièrement différent. Parmi les changements les plus notables : le retour du traditionnel « Scintille, diamant » pour Dapertutto, l’introduction du quatuor avec chœur « Vénus dit à Fortune » et celle du septuor « Hélas ! mon cœur s’égare encore » en guise de finale. Mais ce n’est pas tout : le recours aux récitatifs chantés de Guiraud modifie la physionomie de chacun des épisodes, sans parler des innombrables différences dans l’orchestration, particulièrement flagrantes, par exemple, dans l’air de Nicklausse « Vois sous l’archet frémissant ».

Visuellement, on retrouve l’univers de Stefano Poda, celui de son Faust, déjà à Lausanne, de sa Turandot à Turin ou de son Ariane et Barbe-Bleue à Toulouse, entre recherche d’esthétisme et symbolique plus ou moins déchiffrable. Le spectacle est incontestablement beau, à commencer par ce magnifique décor unique d’un cabinet de curiosités s’élevant jusqu’aux cintres, percé de niches remplies de fragments de statues antiques, de têtes de mort… le tout baignant dans la lumière opalescente qu’affectionne le réalisateur italien.

En revanche, on ne comprend pas tout, sans doute parce que Stefano Poda préfère laisser le spectateur tirer ses propres conclusions. La symbolique est claire dans les cas des gramophones alignés sur le sol pour l’acte d’Antonia (logique, puisqu’elle est cantatrice comme sa mère), ou des vitrines contenant des automates identiques à Olympia pour le précédent (le thème du dédoublement est effectivement l’un des fils conducteurs de l’ouvrage).

Le rôle exact du « Diable » dans sa quadruple incarnation est moins évident. Est-il un hypnotiseur, qui plonge le poète dans un univers fantasmé pour stimuler sa création ? C’est ce qu’il nous a semblé comprendre, dès la première apparition d’Hoffmann, enfermé dans une niche circulaire d’un blanc aseptisé, surgie du mur du fond du cabinet, que Lindorf fait tourner en un mouvement implacable. On admire le professionnalisme de Jean-François Borras qui, pour ne pas se retrouver assis la tête en bas à son petit bureau, est constamment obligé de marcher à larges enjambées ou de se laisser glisser sur les parois !

Projection mentale de la « bizarre cervelle » du héros – ou cellule dans un asile d’aliénés ? –, la niche accueille ensuite d’autres dispositifs tournants : un immense disque La Voix de son Maître pour le trio final de l’acte d’Antonia, une énorme roulette de casino pour celui de Giulietta, Stefano Poda déclinant avec habileté le thème de l’éternel recommencement, avec l’échec au bout du chemin. Bref, un travail soigné, suggérant au spectateur des clés de lecture de l’intrigue, sans la brutaliser ni la transformer, avec quelques jolis costumes (les robes d’un rouge brillant d’Olympia et ses doubles, le manteau en lamé noir et argent de Giulietta) et une direction d’acteurs fluide, tant pour les solistes que pour les chœurs.

L’une des singularités, à notre avis contestable, de cette mise en scène est de proposer l’une des Olympia les moins drôles qu’il nous ait été donné de voir. La soprano autrichienne Beate Ritter, membre de l’Opéra de Stuttgart, compense par une voix inhabituellement charnue pour le rôle, qui s’amincit dans un suraigu d’une précision et d’un impact sidérants (jusqu’au contre-sol interpolé à la fin du deuxième couplet de « Les oiseaux dans la charmille » !). Les vocalises sont en place, et le français est parfaitement compréhensible.

Trop mezzo-soprano, Géraldine Chauvet souffre dans la tessiture de Giulietta, avec un extrême aigu de plus en plus faux au fil de l’acte de Venise, ce que la présence royale de la comédienne ne réussit pas à faire oublier. Vannina Santoni, en revanche, campe une Antonia absolument idéale, physiquement ravissante et vocalement rayonnante. Dès « Elle a fui, la tourterelle ! », la beauté du timbre et la poésie du phrasé accomplissent des miracles, avant un trio final électrisant d’engagement et de puissance dans l’aigu.

Comme Nicolas Cavallier, le « Diable » de Bordeaux, nous avions entendu Nicolas Courjal dans Les Contes d’Hoffmann à Monte-Carlo. Lui aussi nous a encore plus impressionné que la première fois, avec une qualité vocale suprême et une intelligence scénique dont Stefano Poda tire parti au maximum.

Appelée à remplacer Marina Viotti, que nous attendions avec impatience en Muse/Nicklausse, avant le début des répétitions, Carine Séchaye est correcte, sans plus, à l’instar d’Alexandre Diakoff en Luther et Crespel. Du reste de l’équipe, se détachent Frédéric Longbois, plein de verve dans les quatre « valets », et le tout jeune Jean Miannay, très prometteur Nathanaël.

Jean-François Borras, enfin, franchit avec aisance tous les écueils, avec un aigu lumineux et percutant, une diction de rêve, mais aussi une endurance qui lui permet d’atteindre le dernier acte sans la moindre trace de fatigue. Très certainement l’un des meilleurs rôles du ténor français et, dans l’absolu, l’un des tout premiers Hoffmann de notre époque.

Jean-Yves Ossonce, devenu trop rare à l’opéra, témoigne d’un métier et d’une sensibilité confondants, avec un sens exemplaire des équilibres, entre fosse et plateau comme entre les pupitres de l’Orchestre de Chambre de Lausanne. Et gardons-nous d’oublier le Chœur de l’Opéra de Lausanne, très bien préparé par Patrick Marie Aubert !

RICHARD MARTET

PHOTO © ALAN HUMEROSE

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