Salle Favart, 4 novembre
Bien des années ont passé depuis les représentations du Châtelet, en 1981, qui avaient remis en lumière l’Ercole amante de Francesco Cavalli, ouvrage lié à l’histoire musicale de Paris, puisque commandé par le cardinal Mazarin pour le mariage de Louis XIV avec l’infante d’Espagne, en juin 1660, mais donné seulement en 1662, faute d’avoir pu terminer à temps les travaux de la salle prévue pour les représentations. La création eut enfin lieu mais, au grand dam de Cavalli, des épisodes chorégraphiques dus à Lully furent ajoutés à sa partition… et furent les plus remarqués !
Ces décennies écoulées ont vu s’épanouir une façon différente de jouer, d’écouter et d’aborder scéniquement les œuvres de cette époque. Cette nouvelle production, véritable événement, en apporte la preuve. Aucun doute : forts du succès remporté avec Le Domino noir d’Auber, Valérie Lesort et Christian Hecq ont délibérément choisi la fantaisie pour animer le livret de Francesco Buti. Et conter l’histoire de cet Ercole (Hercule), époux de Deianira (Déjanire) mais épris de la jeune Iole, laquelle préfère nettement son fils Hyllo (Hyllus), le tout sous le regard des déesses Venere (Vénus), qui favorise l’amour, et Giunone (Junon), qui combat l’adultère.
De la fantaisie, le duo de metteurs en scène n’en manque certes pas. Ercole amante fut créé dans la Salle des Machines des Tuileries (celles conçues par Gaspare Vigarani étaient, semble-t-il, somptueuses). Vous voulez des machines ? En voici, en voilà, signées Vanessa Sannino : Giunone se déplace dans un paon volant, Iole et Hyllo préfèrent une montgolfière, Nettuno (Neptune) trône dans un sous-marin/bathyscaphe qu’on dirait échappé du Trésor de Rackham le Rouge d’Hergé…
C’est drôle, charmant, à la frontière du dessin animé et de la bande dessinée, et surtout plein d’humour. Quand la poésie s’en mêle, les images sont superbes, comme celle de Cinthia (Diane) au Prologue, fleur rose géante dont les feuilles vertes sont ses suivantes, ou la vision finale, Ercole accroché à une étoile, siégeant sous une immense planète, dans des tons de bleu et de doré.
Le décor de Laurent Peduzzi, très sobre (un hémicycle blanc surmonté de hauts murs), est rendu vivant par des jeux de lumière. Les costumes de Vanessa Sannino sont à l’unisson. Tout cela ne parasitant jamais la musique, mais la servant, et n’empêchant pas les acteurs d’être guidés avec pertinence. Les spectateurs sont enchantés, et le font savoir.
Raphaël Pichon a orchestré la partition avec Miguel Henry, opérant de légères coupures et ajoutant un air venu du Xerse de Cavalli, ainsi qu’un chœur de l’Ercole in Tebe de Jacopo Melani. Il a opté pour une formation d’une bonne trentaine d’instrumentistes, cordes mais aussi flûtes, cornets à bouquin et sacqueboutes ; et pour un continuo tout aussi riche (harpes, théorbes, violes de gambe…).
D’où un festival de couleurs, mis en valeur par la direction très vivante d’un chef qui n’oublie ni la générosité mélodique du compositeur, ni la profusion de ses harmonies, ni le mélange des genres et des atmosphères cher à l’opéra de l’époque. L’ensemble Pygmalion, chœur et orchestre, fait donc honneur à son mentor.
De même que la distribution, quasiment sans faute. Elle est menée par la basse Nahuel Di Pierro, qui trouve en Ercole un rôle à la mesure de sa voix moelleuse et incisive à la fois, et de ses talents de comédien, campant avec justesse un personnage plus troublé qu’il n’y paraît.
Pas de rivalité entre les contre-ténors ; l’aîné, Dominique Visse, toujours impayable, est un Licco tourbillonnant, et le plus jeune, Ray Chenez, à l’aigu parfois acide, un virevoltant Paggio. La soprano Eugénie Lefebvre offre une délicieuse Pasithea ; ce qui ne l’empêche pas d’être aussi une effrayante Clerica, qu’on dirait échappée d’un film de zombies.
Basse au registre grave sonore, Luca Tittoto s’impose en Nettuno et Eutyro. La soprano Francesca Aspromonte, style impeccable, chant gracieux et habité, est la plus séduisante des Iole ; Hyllo, son soupirant gentil mais un rien nigaud, est confié à Krystian Adam, ténor dont la franchise vocale n’a d’égale que la musicalité. L’autorité de Giunone sied à la mezzo Anna Bonitatibus, qui maîtrise superbement son chant et son personnage.
Drapée dans une robe splendide à la traîne démesurée, Giuseppina Bridelli, autre mezzo, traduit avec humanité les déchirements de Deianira. Trois rôles enfin pour la soprano Giulia Semenzato, qui s’en empare avec tact, trouvant sa pleine mesure en Venere, sensible et sensuelle.
Cette coproduction entre l’Opéra-Comique, Château de Versailles Spectacles et l’Opéra National de Bordeaux sera filmée par François Roussillon et éditée en DVD par Naxos ; on s’en réjouit.
MICHEL PAROUTY
PHOTO © STEFAN BRION