Grand Théâtre de Provence, 16 juillet
Un concert exceptionnel peut offrir le spectacle dramatique le plus abouti, si la mise en scène – intelligente et compétente – est assurée par la musique, le chant, les protagonistes, un orchestre et des chœurs survoltés. Il y a là évidemment une direction des acteurs, chacun se glissant dans l’action comme des ombres prenant part aux duos, trios, quatuors, pour disparaître à nouveau ou se retrouver face à son destin.
À la tête d’un Orchestre de l’Opéra de Lyon en grande forme, Daniele Rustioni installe, dès le Prélude, le climat tour à tour ardent, mystérieux, sinistre, révolté d’I due Foscari. Il imprime à cet opéra de jeunesse, créé à Rome, en 1844, une tenue et une concentration dignes du plus grand Verdi : le motif de clarinette qui accompagne Jacopo Foscari, l’entrelacs du violoncelle et de l’alto solo, confirment la subtilité de l’orchestration au service du drame continu.
Les Chœurs de l’Opéra de Lyon, préparés par leur chef Roberto Balistreri, sont excellents. Adèle Charvet est Pisana, amie et confidente de Lucrezia Contarini, avec la grâce et l’enthousiasme de ses meilleures incarnations (Carmen, Stéphano dans Roméo et Juliette). Jacopo Loredano, ennemi implacable du Doge, est confié à Jean Teitgen, superbe basse verdienne, à la voix ample et puissante, dans un emploi qui annonce Procida (Les Vêpres siciliennes) et Fiesco (Simon Boccanegra).
Jacopo Foscari est un rôle majeur ; en un sens, toute l’action gravite autour de son sort injuste, dans l’attente de jugement, d’exil, de clémence. Francesco Meli l’assure avec brio, au cours de trois airs splendides.
Marina Rebeka, drapée dans une étole couleur de flamme, apporte au personnage passionné de Lucrezia Contarini, épouse de Jacopo Foscari, la maîtrise parfaite de sa vocalisation, l’insolence de son registre aigu, la véhémence de ses imprécations lancées aux patriciens.
Héroïsme, grandeur d’âme, mais aussi complexité voisine du remords… Pour interpréter Francesco Foscari, il faut se montrer capable de porter toute la douleur du monde, le déchirement paternel, l’indignation devant la cautèle du Conseil des Dix, la pathétique imploration ultime (« Rendetemi il figlio »). À 79 ans, Leo Nucci confirme qu’il demeure le seul, par son articulation et son sens de la parole verdienne, à pouvoir assumer le rôle du Doge, autant par le chant que par l’art d’animer le plateau.
Une formidable ovation debout prolonge cette mémorable performance.
PATRICE HENRIOT
PHOTO © VINCENT BEAUME