Enregistré en public, au Carnegie Hall de New York, le 15 décembre 2019, ce Winterreise par Joyce DiDonato était, au départ, une suggestion de Yannick Nézet-Séguin, projet à propos duquel la mezzo-soprano américaine s’est beaucoup interrogée, avant, selon ses propres dires, de « plonger ».
Il y a longtemps, pourtant, que des voix féminines ont osé investir le cycle schubertien, avec un ascendant largement suffisant pour faire taire, dès le départ, toute polémique quant à cet apparent travestissement. Et découvrir Winterreise par des interprètes du calibre de Brigitte Fassbaender (EMI/Warner Classics), Christa Ludwig (Deutsche Grammophon) ou Margaret Price (Forlane) reste une alternative passionnante, par les changements d’éclairage qu’on peut y ressentir.
Le défi semble avoir intimidé Joyce DiDonato, moins en ce qui concerne la maîtrise de l’allemand (excellente, à part quelques voyelles trop ouvertes) que par la difficulté du ton exact à trouver, avec une voix qui reste plutôt claire. D’où l’idée d’interpréter l’ensemble du cycle comme un journal intime, non pas lu par le personnage principal, mais par celle qu’il a aimée, et qui, un jour, découvre ces écrits.
Effectivement, on a, plus d’une fois, l’impression diffuse d’écouter l’air « des lettres » de Werther, ces bouts de récit que Charlotte « relit sans cesse ». Comme si Joyce DiDonato ne voulait pas renoncer, le temps de ces vingt-quatre lieder d’errance et de désespoir, à une féminité que, plus ou moins délibérément, celles qui l’ont précédée ont souvent mise entre parenthèses.
Le résultat est émouvant, mais parfois un rien agaçant, avec une tendance à simuler les possibles frissons anxieux de la lectrice en minaudant (l’instabilité dérange dès Die Wetterfahne). Et puis, la distanciation du projet nuit beaucoup aux pièces les plus terribles, comme Der Wegweiser ou Der greise Kopf, où l’on reste extérieur au drame.
L’enregistrement est-il arrivé trop tôt ? En tout cas, le manque d’approfondissement se ressent aussi dans l’accompagnement de Yannick Nézet-Séguin, un peu lourd, dépourvu de la subtilité d’un véritable pianiste spécialisé.
Pour les deux interprètes, l’aventure méritait évidemment d’être tentée, mais si le résultat peut justifier le détour, il n’est pas encore concluant.
LAURENT BARTHEL
1 CD Erato 0190295284145