Teatro Real, 28 octobre
Avec cette production d’Aida – donnée, pour la première fois, en 1998, puis reprise dix ans plus tard –, le Teatro Real fête glorieusement le 25e anniversaire de sa réouverture (11 octobre 1997), après d’importants travaux de restructuration et de rénovation.
Hugo de Ana traite son sujet avec goût : imposants décors, démultipliés par de belles images vidéo ; costumes aux étoffes ondulantes ; amples tableaux de foule, réglés au cordeau, aux chorégraphies tantôt lascives, tantôt grégaires. Très à l’aise pour évoquer les splendeurs de la grande Égypte, celle des pyramides et des cortèges sacrés ou militaires – la scène du triomphe est une vraie réussite –, le réalisateur argentin se montre un peu moins inspiré dans les moments intimistes, où sa direction d’acteurs laisse à désirer.
Musicalement, cette quatrième des dix-neuf représentations proposées jusqu’au 14 novembre, avec plusieurs distributions en alternance, rallie quasiment tous les suffrages. Les magnifiques chœurs, préparés avec soin par Andrés Maspero, les brillants pupitres de l’orchestre maison, conduits avec fougue et lyrisme par Nicola Luisotti, contribuent à rendre la soirée électrisante. Grâce à trois chanteurs d’exception, elle devient carrément inoubliable.
À tout juste 60 ans, Krassimira Stoyanova défie le temps, avec son Aida frémissante, au timbre soyeux et à la technique souveraine. Tout chez cette artiste suscite l’admiration, de l’impeccable conduite vocale à la variété des couleurs, de la luminosité de l’instrument à l’utilisation de la dynamique. Sans jamais grossir le trait, son héroïne est un modèle d’expressivité et de style, dont on perçoit, derrière la solidité de façade, les moindres fêlures.
Face à cette Aida de très haut rang, Piotr Beczala laisse pantois. Qui aurait pu prédire une telle adéquation au personnage de Radamès, abordé au Festival de Salzbourg, l’été dernier seulement (voir O. M. n° 186 p. 62 d’octobre 2022) ? Pour le ténor polonais, le rôle s’apparente à une promenade de santé. Sans avoir à forcer ses moyens, il allie, dans un même geste vocal, héroïsme et lyrisme. Et, à l’instar de sa consœur bulgare, quelle intelligence du texte, quelle élégance et quelle discipline stylistique !
Le baryton espagnol Carlos Alvarez, de son côté, ne fait qu’une bouchée d’Amonasro, avec ce timbre unique, ce phrasé mordant et ce panache qui, depuis toujours, font le prix de ses incarnations.
Comédienne impossible, Jamie Barton a bien du mal à faire exister son Amneris, vocalement en difficulté, avec des registres désunis, et privée de féminité. Ce n’est qu’en hurlant que la mezzo américaine réussit à venir à bout de l’éprouvant dernier acte.
Le Bulgare Deyan Vatchkov, Roi au timbre encombré, et le Russe Alexander Vinogradov, Ramfis à l’autorité naturelle, complètent ce plateau, chaleureusement applaudi par un public sous le charme.
FRANÇOIS LESUEUR