Comptes rendus Le Sigurd du centenaire à Nancy
Comptes rendus

Le Sigurd du centenaire à Nancy

15/11/2019

Opéra National de Lorraine, 17 octobre

Le 14 octobre 1919 était inauguré, avec Sigurd d’Ernest Reyer, le nouvel Opéra de Nancy, dû à l’architecte Joseph Hornecker. On peut se demander pourquoi l’œuvre d’un compositeur français s’inspirant des mythologies germaniques fut choisie pour ouvrir un théâtre situé en Lorraine : désir de réconcilier les deux pays ? volonté de montrer qu’un musicien né à Marseille pouvait faire siens les mondes de l’outre-Rhin ?

Un siècle après, en tout cas, l’Opéra National de Lorraine laisse de nouveau sa chance à Sigurd, ouvrage aujourd’hui bien oublié, après avoir triomphé lors sa création à Bruxelles, en 1884 – et ce malgré quelques reprises, dont une à Montpellier, en 1993, avec Chris Merritt, et une autre à Genève, en 2013, avec Andrea Carè.

Il ne faut pas se laisser abuser par les dates : Reyer a songé à Sigurd dès 1862, après avoir reçu une ébauche du livret signée Alfred Blau, que Camille du Locle mettra en vers sans se hâter. Sigurd est le fruit d’une longue gestation, mais c’est aussi l’irrésolution des directeurs de l’Opéra de Paris qui poussera le compositeur à se tourner vers la Monnaie.

Inutile, par ailleurs, de chercher une quelconque influence de Wagner sur la partition de Reyer, ce qui se vérifie à l’écoute : on est ici aussi éloigné de Die Walküre que des Troyens. Sigurd aurait plutôt l’allure d’un opéra de Gounod hypertrophié ou d’un exercice de style à la manière de Meyerbeer, avec chansons à boire et autres serments, le tout sans la moindre trace d’ironie ou d’humour.

Certes, la partition est innervée par un ensemble de thèmes plus ou moins mémorables, mais l’écriture chorale massive, l’orchestration appliquée, les harmonies sans surprise, les cadences attendues, lui donnent un côté martial que ne rachète pas sa tendance à s’attarder. L’ouvrage n’est pourtant pas donné dans son intégralité : « À Nancy, le parti pris a été de présenter trois heures et demie de musique, en conservant tous les thèmes à entendre, et de garder l’histoire intacte », explique Frédéric Chaslin.

Faut-il alors reprocher au chef français de manquer de nuances, de se contenter d’un forte perpétuel ? Certes, les moments suspendus sont rares (l’évocation d’Hilda par Sigurd), ceux qui font miroiter les instruments ne brillent guère par leur étrangeté (les elfes et les kobolds du II), et les nombreux changements apparents d’atmosphère aboutissent presque tous à un retour aux flonflons des trombones et des percussions ; mais il aurait sans doute été possible à Frédéric Chaslin de se soucier davantage des chanteurs.

Car ceux-ci ont fort à faire, à commencer par l’interprète du rôle-titre, qui doit faire preuve d’une vaillance à toute épreuve et affronter des intervalles meurtriers. Le ténor -britannique Peter Wedd s’en sort plutôt bien, malgré un timbre peu séduisant, et ose même, dans les rares instants de lyrisme qui lui sont réservés, quelques aigus pianissimo qui disent le sérieux avec lequel il conçoit sa mission.

Hagen se contente d’accompagner ou de commenter l’action, jusqu’à ce qu’il propose à Gunther, au dernier acte, de tuer Sigurd. Rôle ingrat, que Jérôme Boutillier chante d’une belle voix sonore. Nicolas Cavallier est un Prêtre d’Odin impeccable, mais le plus convaincant de la soirée reste, sans aucun doute, Jean-Sébastien Bou.

Le baryton français sait mettre de l’ambiguïté dans le personnage du fanfaron Gunther, à la fois péremptoire et falot, le tout servi par une diction toujours expressive – malgré, là encore, un orchestre dévastateur qui lui interdit de jouer des couleurs ou de la dynamique.

Côté féminin, on est touché par la composition de Marie-Ange Todorovitch en Uta, obsédée par ses rêves prémonitoires, et on apprécie la fine musicalité de Camille Schnoor, qui se libère peu à peu et fait entendre, en Hilda, un beau timbre fruité.

Le dernier acte, qui commence par une grande scène de Brunehild, est de loin le plus inspiré. La voix de Catherine Hunold n’a rien d’exceptionnel, sa composition reste timide, mais son long duo avec Hilda la fait sortir, elle aussi, de sa réserve. On a là, enfin, un vrai moment de tension, comme on en trouve trop peu dans cet ouvrage éprouvant.

Un mot sur le Chœur, qui réunit les forces de l’Opéra National de Lorraine et d’Angers Nantes Opéra, et s’impose sans difficulté dans une partition où il a la part belle.

CHRISTIAN WASSELIN

PHOTO : Frédéric Chaslin. © BERNARD MARTINEZ

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