Théâtre des Champs-Élysées, 6 avril
Plus qu’à un simple concert, proposé dans le cadre des « Grandes Voix », c’est au triomphe de Massenet que nous assistons. Car Manon est donnée plus complète qu’à l’habitude, mis à part les ballets et quelques répliques parlées. C’est ainsi que l’on savoure avec béatitude des phrases ou reprises qu’on n’avait jamais entendues, sauf au disque, comme la « Chanson » de Guillot sur le Régent (acte IV) ou la totalité des « Couplets » des archers (acte V).
Le chœur Octopus, dont certains membres tiennent aussi, de leur pupitre, les innombrables petits rôles, et l’Orchestre National de Belgique sonnent magnifiquement, sous la baguette de Frédéric Chaslin. Le chef donne le ton, dès le Prélude : ce Massenet sera fiévreux, emporté, romantique en diable.
Un gros écueil, cependant, gâche notre plaisir. Nino Machaidze semble n’avoir aucune notion de la diction française, pas une voyelle n’est correctement émise, et le phrasé se perd dans un insupportable yaourt, qui avale la moitié de sa locution. De plus, la soprano géorgienne semble incapable de rendre l’évolution psychologique de Manon, diva dès la première seconde. Soyons honnête, on se laisse parfois emporter par un joli timbre et de beaux moyens. Mais il est absolument inadmissible de traiter l’opéra français avec une telle désinvolture.
On attendait beaucoup de la prise de rôle de Juan Diego Florez, et on n’a pas été déçue. Avec la technique parfaite et la minutie qu’on lui connaît, son Chevalier sonne clair et passionné, concentré et investi. Le seul – minime – reproche qu’on pourrait lui adresser serait de ne pas imprimer une marque plus personnelle, comme il a pu le faire en Werther. Pour l’instant, en effet, le ténor péruvien ne se démarque pas vraiment des nombreux grands Des Grieux qui l’ont précédé.
Jean-Gabriel Saint-Martin donne une forte présence à Lescaut, au point de le rendre omniprésent. Voix bien projetée, diction percutante, tout est réuni pour une composition marquante. Marc Barrard offre, comme à son habitude, une véritable leçon de chant français en Comte, et Jean-Christophe Lanièce est un Brétigny des plus recommandables.
Raphaël Brémard n’a pas tout à fait la voix de trial de Guillot, mais il est cauteleux à souhait, et se tire à merveille d’un personnage plus malveillant que ridicule. Jennifer Michel, Tatiana Probst et Eléonore Pancrazi forment un trio de belles tout à fait acceptable, mais on a déjà entendu mieux.
Durant le concert, ces messieurs esquissent des gestes, des sourires, des œillades, pour donner vie à leur incarnation, tandis que Manon se tortille et ouvre grand les bras. Mais Massenet, fin connaisseur de la scène, a besoin d’étreintes, de corps qui se frôlent et se défient. Une version de concert, aussi estimable soit-elle, ne lui suffit pas.
CATHERINE SCHOLLER
PHOTO © SONY CLASSICAL