De Nationale Opera, 4 septembre
Le DNO d’Amsterdam avait terminé sa précédente saison avec la révélation de Die ersten Menschen de Rudi Stephan (voir O. M. n° 175 p. 50 de septembre 2021). Et il commence la nouvelle avec un chef-d’œuvre, presque aussi rare, de la même époque et de la même esthétique : Der Zwerg (Le Nain), un des plus connus – ou, plutôt, des moins méconnus – des opéras d’Alexander von Zemlinsky, inspiré de The Birthday of the Infanta (L’Anniversaire de l’infante) d’Oscar Wilde.
À la base de ces choix audacieux, l’ouverture d’esprit de Sophie de Lint, nouvelle directrice du DNO, mais aussi les contraintes liées à la pandémie : les deux ouvrages ont en commun de ne requérir qu’un petit nombre de personnages et de se prêter à une mise en scène distanciée.
Cette nouvelle production marque, également, les débuts officiels comme chef principal de Lorenzo Viotti. Sa direction est somptueuse, et c’est un Nederlands Philharmonisch Orkest des grands jours qui restitue, sous sa baguette éclairée, toute la palette de climats et de couleurs que requiert la partition.
Pour ses débuts à l’opéra, la cinéaste néerlandaise Nanouk Leopold fait de nécessité vertu. Il faut séparer les chanteurs ? Ils seront placés dans des cases : sept cubes ouverts, de tailles inégales et asymétriques, qui s’assemblent verticalement comme un jeu de construction, et qui viennent rappeler combien la cour de Donna Clara, tout comme nos sociétés d’aujourd’hui, est encline à enfermer les gens dans des représentations préconçues.
Et puisqu’il faut, également, respecter la distanciation physique entre les musiciens, l’orchestre sera, comme l’avait été celui du Concertgebouw pour Die ersten Menschen, placé en fond de scène, derrière les solistes.
La soprano néerlandaise Lenneke Ruiten se montre excellente en Donna Clara. Mais les deux triomphateurs de la soirée sont le ténor américain Clay Hilley, remarquable de maîtrise vocale et dans son expression des émotions du rôle-titre, et la soprano allemande Annette Dasch, puissante et formidablement extravertie en Ghita.
Ancrée dans une époque de pandémie, la mise en scène l’est, également, dans un temps où règne le « politiquement correct ». Pas question alors, et c’est une volonté affirmée, de représenter une quelconque difformité physique. Le choix, dramaturgiquement convaincant d’ailleurs, est de rendre le propos universel : le Nain n’est pas laid, et il n’est même pas de petite taille ; il est seulement « autre ». C’est un oiseau multicolore, à la parure scintillant de mille feux, égaré dans un règne animal qui n’est pas le sien. Car Donna Clara et ses suivantes sont des caricatures de princesses en robes tutus roses, si roses qu’elles portent aussi des têtes de porcs en guise de chapeaux.
Symboliquement pertinent, le système des cases limite beaucoup trop les interactions, tant et si bien qu’on a parfois l’impression d’un concert en costumes. Pour tenter d’obvier à ce travers, Nanouk Leopold utilise sa formation de cinéaste pour projeter, sur un immense écran incurvé, des images filmées des personnages, supposées montrer ce qu’ils sont vraiment.
Mais ce recours occasionnel à la vidéo laisse un sentiment un peu erratique : les images ne sont pas projetées pendant les moments dramatiquement les plus forts (par exemple, lors de la description du Nain par Don Estoban, ou quand le malheureux se découvre dans le miroir), mais plutôt dans des scènes de transition.
NICOLAS BLANMONT
PHOTO © MARCO BORGGREVE