Opéra/YouTube, 23 mars
Dans le lugubre contexte sanitaire, l’Opéra de Limoges prépare des jours meilleurs. Il présente, sous le titre Le Mystère de la Dame blanche, sept chanteurs, l’Orchestre et le Chœur, qui « racontent la légende de la Dame blanche, en prenant pour prétexte l’œuvre de Boieldieu, dont de nombreux extraits viennent jalonner le récit ». L’ensemble est illustré de « dessins projetés et animés en vidéo ».
Pendant l’Ouverture, arrivent, en vêtements modernes passe-partout, deux voyageurs. À Palavas-les-Flots, en 1981, un automobiliste s’arrête pour prendre une auto-stoppeuse, qui l’avertit des dangers de la route et lui évite un accident mortel. S’ensuit alors une explication ethnologique sur la croyance, dans de multiples contrées et sous différentes appellations, en des figures fantomatiques qui viennent aider les humains, mais sont aussi parfois oiseaux de mauvais augure. C’est la Dame blanche de tous les châteaux et de toutes les superstitions possibles.
À vrai dire, si mystère il y a, il prend deux formes. D’abord, pourquoi, en cette saison 2020-2021, voit-on aussi souvent La Dame blanche de (ou d’après) Boieldieu ? Là, c’est un miracle : que de talents et de talent ! D’autre part, le mystère du « r » roulé. Une fois admise la nécessité pour certains personnages wagnériens de fendre la masse orchestrale (non tous, Alberich n’est pas Wolfram, ni Brünnhilde, Elsa), et compte tenu du « r » italien, on peut attendre, pour un ouvrage français, une certaine cohérence phonétique.
Il est ainsi fort gênant que, dans une même distribution, certains artistes « roulent » et d’autres pas. Et, plus étrange encore, que, lorsqu’ils se mettent à parler (d’ailleurs bien), les « rouleurs » abandonnent leur « roulement », comme un comédien distrait oublierait soudain sa boiterie. On remarquera, au passage, que le « roulement » des anciens chanteurs français n’a jamais été celui des gendarmes bourguignons, chers aux monologues pour banquets de noces.
Soutenus par la direction alerte de Fayçal Karoui, mis en espace par Sergio Simon, éclairés (peu, car c’est plus mystérieux) par Ludovic Pannetier, les chanteurs, aux tenues ornées d’écharpes écossaises, ont pour partenaires un orchestre allégé mais bien sonnant, et de valeureux chœurs, placés aux trois premiers rangs du parterre. Après chaque acte, les choristes applaudissent les solistes. À la fin, ils les acclament.
Mélissa Petit chante à ravir une Anna dont les vocalises témoignent de sa fréquentation de Mozart et du répertoire baroque. Julien Dran incarne un Georges brillant, tout proche de ses prestations belcantistes. Sophie Marin-Degor, pour qui Jenny n’a aucun mystère, cette saison, anime la ballade « Prenez garde ! », le trio « Je n’y peux rien comprendre » et le marivaudage esquissé avec Georges.
François Rougier, ténor au timbre riche, campe un Dikson convaincant. L’émouvante Marie Lenormand fait tourner, avec nostalgie, les « fuseaux légers » de Marguerite. Et Jean-Luc Ballestra, baryton impérieux, caractérise la rage de Gaveston.
Les ensembles, très réussis, montrent qu’il ne s’agit pas ici, contrairement aux déclarations d’intention, d’illustrer par des extraits une sociologie de la croyance à travers les siècles, mais de rendre présente, comme elle le mérite, la plus fraîche musique qui soit, celle de l’« opéra-comique » français.
PATRICE HENRIOT
PHOTO © OPÉRA DE LIMOGES/ANTOINE JOUFFRIAULT