Athénée Théâtre Louis-Jouvet, 21 novembre
Le genre aristocratique du « mask », avec son alternance de longs passages parlés et de pièces de musiques, chantées ou purement instrumentales, accompagnées ou non de danses, qui paraît si spécifique des XVIe et XVIIe siècles anglais, peut-il revivre aujourd’hui dans une perspective autre que purement archéologique ?
La preuve en a été donnée par cette production de l’un des « masks » les plus emblématiques, même s’il est tardif dans le genre : Cupid and Death (1653), généralement attribué à Matthew Locke (v. 1621-1677) et Christopher Gibbons (1615-1676), sur un livret de James Shirley, poète prolixe en la matière. On connaissait l’œuvre, entre autres, par l’enregistrement de sa seule musique par l’ensemble The Consort of Musicke, dirigé par Anthony Rooley (en CD chez Deutsche Harmonia Mundi).
Comme pour La Princesse légère, création contemporaine qu’on avait vue à Lille, en décembre 2017 (voir O. M. n° 136 p. 43 de février 2018), les metteurs en scène Jos Houben et Emily Wilson ont procédé à une transposition sans modernité arrogante, qui intègre au mieux les différentes composantes dans un dispositif hautement élaboré, sous son apparente simplicité de moyens.
Mobilier transformable, petit praticables facilement déplaçables sur le plateau, très inventifs costumes, procédés techniques jouant habilement d’une apparente désuétude… Enfin, au lieu de la sempiternelle vidéo, des jeux d’ombres chinoises sur écrans, ou rétroprojecteurs et dessins naïfs sur les feuilles plastiques, masques en carton, et encore pancartes maniées à vue, pour indiquer les lieux ou résumer l’action, à la manière du théâtre élisabéthain.
Le tout avec une invention poétique constante, pour un spectacle d’une heure quarante, présenté sans entracte, qui ne cesse de tenir constamment sous le charme. Et avec une solution parfaitement efficace pour le problème clé : en quelle langue jouer ? Le français et l’anglais alternent, donnés par deux virtuoses dans les deux langues : la comédienne Fiamma Bennett et le baryton Nicholas Merryweather, avec traduction simultanée sur des écrans latéraux.
Après la Psyche (1675) du même Matthew Locke, en version de concert, en 2019-2020, et toujours accompagné par son excellent ensemble Correspondances, Sébastien Daucé, lui-même à l’un des deux virginals, nous fait découvrir, avec Cupid and Death, une partition d’un séduisant raffinement.
Dès lors, peu importe que le livret ne combine d’une manière qu’assez lâche une intrigue allégorique à portée moralisante, d’après Ésope, dont est tiré pourtant le meilleur parti, au fil des cinq « entrées » : l’Amour et la Mort échangent leurs flèches, provoquant les équivoques et malentendus que l’on devine, avant que Mercure ne proclame l’heureuse harmonie finale retrouvée.
On regrette que le trop mince programme de salle ne donne pas le détail de la distribution, pour un spectacle brillamment mené par Nicholas Merryweather, mais aussi par le comédien Soufiane Guerraoui, l’un et l’autre très performants. Mais tous seraient à citer, dans un travail d’équipe de premier plan, où l’on salue quand même, tout particulièrement, la toujours impressionnante Lucile Richardot.
En effet, la contralto française s’était déjà illustrée dans ce répertoire avec le même Sébastien Daucé, au disque, chez Harmonia Mundi, en 2018 (Perpetual Night – voir O. M. n° 140 p. 77 de juin), et sur scène, aux Bouffes-du-Nord, en 2019 (Songs – voir O. M. n° 148 p. 54 de mars).
Créé à Caen, le spectacle sera repris par les coproducteurs en une large tournée, à Compiègne, Massy, Rennes, Rouen, Tourcoing, ainsi qu’à l’Opéra Royal de Versailles et au Château d’Hardelot. Il ne faudra surtout pas manquer cette très savoureuse réussite !
FRANÇOIS LEHEL
PHOTO © ALBAN VAN WASSENHOVE