Théâtre Royal, 27 février
PHOTOS : Antoinette Dennefeld, Anne-Catherine Gillet et Cyrille Dubois.
© OPÉRA ROYAL DE WALLONIE-LIÈGE/LORRAINE WAUTERS
Laurent Montel (Lord Elfort)
François Rougier (Juliano)
Cyrille Dubois (Horace)
Laurent Kubla (Gil Perez)
Anne-Catherine Gillet (Angèle)
Antoinette Dennefeld (Brigitte)
Marie Lenormand (Jacinthe)
Sylvia Bergé (Ursule)
Tatiana Mamonov (Gertrude)
Patrick Davin (dm)
Valérie Lesort, Christian Hecq (ms)
Laurent Peduzzi (d)
Vanessa Sannino (c)
Christian Pinaud (l)
Glyslein Lefever (ch)
Berlioz ne consacra pas moins de deux feuilletons à la création du Domino noir, l’un dans le Journal des Débats, l’autre dans la Revue et Gazette musicale de Paris, tous deux datés du 10 décembre 1837 – la première avait eu lieu le 2 décembre. S’y mêlaient louanges et réserves sans trop de sévérité, avec quelques pointes d’ironie concernant le livret d’Eugène Scribe, le partenaire le plus fidèle du compositeur.
Certes, Berlioz ne manque pas de souligner que « M. Auber a cherché le style le plus propre à agir sur le public de l’Opéra-Comique, et à ne pas sortir du cercle musical dans lequel les usages et les moyens d’exécution de ce théâtre ont enfermé l’art pour ne plus lui permettre d’en sortir ». Mais il avoue aussi : « M. Auber a écrit sur cette pièce un tant soit peu risquée et invraisemblable, mais vive et amusante, l’une de ses plus jolies partitions. »
Passons sur le peu de crédibilité de cette désopilante cascade de quiproquos digne du théâtre de boulevard et d’autant plus drôle que des nonnes y sont mêlées – mais, rassurez-vous, sans gauloiserie déplacée. Les dialogues sont vifs, et la musique file bon train. Qu’elle soit faite pour plaire, c’est évident ; mais est-ce un péché ? Elle se colore parfois de tournures espagnolisantes, sans tomber dans un folklore de mauvais aloi. Elle est entraînante, vivante, tendre s’il le faut ; en un mot, elle est charmante.
Au pupitre de ce Domino noir, présenté à l’Opéra Royal de Wallonie, avant des représentations à l’Opéra-Comique, son coproducteur (du 26 mars au 5 avril), Patrick Davin fait preuve d’une belle énergie ; il arrive même qu’il soit à deux doigts de faire sonner son orchestre un rien trop fort, dans une salle dont l’acoustique est excellente. Mais pourquoi avoir amputé le rondo d’Angèle, à l’acte III, d’une de ses parties, au détriment du texte ?
Peut-on rêver Angèle (que Berlioz appelle Angela) plus séduisante qu’Anne-Catherine Gillet ? Légère mais corsée, habilement conduite, la voix de la soprano belge n’hésite pas devant les vocalises les plus hardies, sans perdre le contrôle d’une ligne de chant mise en valeur par un timbre exquisément fruité.
Tout aussi gracieux et parfaitement à l’aise en Horace, un personnage qui, pourtant, pourrait facilement sombrer dans la caricature, le ténor français Cyrille Dubois allie, lui aussi, la souplesse vocale à une irréprochable musicalité – on reconnaît là une discipline apprise chez Mozart.
À leurs côtés, la Brigitte délurée d’Antoinette Dennefeld, la pétulante Jacinthe de Marie Lenormand, la Gertrude bien trempée de Tatiana Mamonov, trio complété par Sylvia Bergé, qui s’est échappée de la Comédie-Française pour camper une Ursule pimbêche et revancharde.
Leurs compères doivent surtout exploiter leur verve comique : François Rougier, ténor percutant, est un Juliano virevoltant, le baryton Laurent Kubla se délecte en Gil Perez, portier du couvent déjanté, et le comédien Laurent Montel dessine un Lord Elfort irrésistible de drôlerie.
Si cette joyeuse bande convainc, c’est qu’elle forme, de toute évidence, une véritable équipe, grâce aux metteurs en scène Valérie Lesort et Christian Hecq, ce dernier venu du Théâtre-Français. Leur travail sur les dialogues parlés, dits sans emphase, sur les gestes, les attitudes, les mouvements, dont aucun n’est inutile, donne au spectacle son rythme et ne gêne pas la musique.
Les décors très imaginatifs de Laurent Peduzzi permettent des échappées poétiques inattendues. Au premier acte, le bal se déroule hors du plateau, on en perçoit quelques bouffées orchestrales lorsque s’ouvre une porte, et des danseurs qui passent fugitivement, mais une énorme horloge occupe le mur principal (comme Cendrillon, Angèle doit s’éclipser avant minuit), laquelle peut soudainement devenir un hublot de sous-marin, dévoilant un monde mystérieux dans lequel évolue, entre autres, une pieuvre rouge.
Au III, les statues du couvent s’animent de manière réjouissante. Et au II, le plat de résistance du dîner est un cochon défiant crânement le couteau du cuisinier ! Plus on est de fous, plus on rit : les costumes de Vanessa Sannino participent à la fête et convoquent d’étranges volatiles, une tête d’oie noire sert de couvre-chef à l’héroïne, tandis que Juliano et Lord Elfort déploient l’un des plumes de paon faisant la roue, l’autre des piquants de porc-épic, ce qui en dit long sur leur caractère…
Un univers dont l’originalité colle idéalement à la partition d’Auber et lui redonne une saine jeunesse.
MICHEL PAROUTY