Teatro Real/Mezzo & Medici.tv, 25 novembre
Quel soulagement, quel plaisir même, que d’entendre les acclamations du public à la fin de cette captation de Rusalka, diffusée en direct sur Mezzo et Medici.tv !
Malgré les restrictions en vigueur, le Teatro Real de Madrid a, en effet, pu présenter cette production très attendue dans des conditions proches de la normale – avec une jauge certes réduite, et un chef séparé de l’orchestre par un écran en plexiglas, mais sans distanciation sociale sur le plateau, ni coupures dans la partition, pour respecter une durée censément Covid-compatible. Une vraie production d’opéra, en somme, qui prouve que le cœur du spectacle vivant n’a pas cessé de battre !
Sans doute la mise en scène de Christof Loy n’est-elle pas sa plus aboutie. Cette transposition de l’univers du conte dans un théâtre abandonné, où une famille a trouvé refuge après que la fille aînée, promise, peut-être, à un radieux avenir de ballerine, a perdu l’usage de son pied gauche, s’avère moins prenante que les propositions autrement plus radicales de Martin Kusej, à Munich, ou Jossi Wieler et Sergio Morabito, à Salzbourg, et moins poétique que la spectaculaire machinerie de Robert Carsen, à l’Opéra Bastille.
Mais la sensibilité de la direction d’acteurs, la sincérité des expressions – et des regards ! – qu’il obtient d’interprètes loin d’être tous des bêtes de scène, forcent une nouvelle fois l’admiration. Comme cette capacité à mettre en œuvre une dramaturgie éminemment pensée, sans distordre la narration, ni tomber dans la facilité, ou pire, l’outrance.
Cette sobriété, qui frise par moments la froideur, se retrouve dans la direction d’Ivor Bolton, inattendu dans ce répertoire, où il cherche d’abord la fluidité et la transparence – ce qui tend à priver certaines scènes de caractère, surtout quand les chanteurs viennent à en manquer. C’est le cas du Vodnik de Maxim Kuzmin-Karavaev, trop uniformément renfrogné, sinon maussade.
Katarina Dalayman, à l’inverse, tend à surjouer Jezibaba, sortie de derrière son guichet, mais l’instrument de la mezzo (jadis soprano) suédoise est en mal d’assise dans le grave. La reconversion de Karita Mattila convainc davantage, qui prête plus que de beaux restes, et surtout son énergie singulière, à une Princesse étrangère toutes griffes dehors.
L’émission haute d’Eric Cutler lui fait passer l’épreuve du Prince avec panache, d’autant que le ténor américain, qu’une rupture du talon d’Achille force à se déplacer avec des béquilles, en un troublant parallèle avec l’héroïne infirme, paraît bien plus concerné que souvent par son personnage.
Comment, cependant, ne pas avoir d’yeux et d’oreilles que pour Asmik Grigorian, l’une des personnalités les plus fascinantes apparues sur la scène lyrique, ces dernières années ? Chevelure noire, immenses yeux bleus, et une simplicité, une évidence, que le gros plan magnifie. La voix de la soprano lituanienne est saisissante d’intensité, alliage étonnant de métal et de moelleux, capable donc de trancher, comme de flotter.
Un miracle à voir et à entendre en replay, jusqu’au 25 février, sur Medici.tv !
MEHDI MAHDAVI
PHOTO © MONIKA RITTERHAUS