Comptes rendus L’Académie de l’Opéra de Paris à Évian
Comptes rendus

L’Académie de l’Opéra de Paris à Évian

08/11/2021

La Grange au Lac, 23 octobre

Heureux choix, de la part de l’Académie de l’Opéra National de Paris – prenant, pour la quatrième année, ses quartiers à la Grange au Lac, le temps du Festival « Voix d’automne » d’Évian –, que celui de confier à Thibault Noally le soin de guider cinq de ses jeunes talents dans l’exploration des rivages baroques, en l’occurrence italiens, avec Alessandro Scarlatti (1660-1725) et sa Giuditta à cinq voix, dite « de Naples ».

Découverte pour certains, approfondissement pour d’autres, mais surtout passage désormais obligé, pour qui ne veut se fermer aucune porte d’entrée dans la carrière lyrique – et c’est bien le rôle de l’institution dirigée par Myriam Mazouzi que d’en donner les clés ou, à défaut, de dégager les voies qui, censément, y mènent.

Tous ne sont certes pas égaux face à ce répertoire, dont les exigences techniques et stylistiques appellent, sinon des spécialistes, du moins une connaissance, et de la flexibilité. Ainsi, l’Américain Aaron Pendleton paraît précautionneux, comme s’il retenait, étouffait même, l’évident potentiel de sa belle voix de basse, de crainte, peut-être, qu’elle ne déborde une écriture réclamant assurément davantage qu’un parlando nonchalant.

Le Coréen Kiup Lee fait preuve de plus de scrupules, joli timbre de ténor, émission calibrée, diction nette, au point de n’être que lisse, voire scolaire. Soprano ravissant, dont la pulpe tarde à s’épanouir jusque dans l’aigu, musicienne sensible, l’Américaine Ilanah Lobel-Torres n’est manifestement pas dans son élément en Ozia, glissant sur la moindre vocalise, et ne parvenant pas à maîtriser une intonation récalcitrante.

Passé par le Centre de Musique Baroque de Versailles, Fernando Escalona se montre d’emblée mieux armé pour affronter les coloratures guerrières d’Oloferne, qu’il martèle avec plus de vélocité que de souplesse. Cet abattage se double d’une belle intelligence du texte, qui profite aux récitatifs.

Dommage que des contours parfois flous et une couleur assez terne allongent le chemin du contre-ténor vénézuélien – confronté à une redoutable concurrence, dans un registre de plus en plus prodigue en phénomènes ! – vers les héros auxquels le prédestine un tempérament tout sauf univoque.

Une silhouette, une chevelure, un regard : la Française Marine Chagnon est Giuditta, avant même d’ouvrir la bouche. Et de révéler un mezzo chaud, aussi galbé, et frémissant, dans la détermination de « Mà so ben qual chiudo in petto » que dans la fatale « Berceuse » précédant la décapitation d’Oloferne.

L’aubaine, pour ces jeunes artistes, et les deux derniers en particulier, est de trouver, dans cette partition, matière à incarner des personnages dotés d’une substance que les archétypes du « dramma per musica » métastasien à venir n’auront pas toujours. Car, si le sujet de La Giuditta est biblique, c’est bel et bien un opéra – d’une concision que le genre, alors, ne permettait pas – que Scarlatti compose sur le livret attribué au cardinal Pamphili.

L’acoustique de la Grange au Lac, idéale quel que soit l’effectif, permet à Thibault Noally et à son ensemble Les Accents de mettre en valeur – et avec quel soin minutieux, mieux, amoureux ! – la variété des combinaisons instrumentales, notamment dans les airs accompagnés par la seule basse continue, que colorent de captivants obbligati – violon et violoncelle en écho dans l’aria d’Ozia (« Se la gioia non m’uccide »).

Le drame, dès lors, prend vie avec une forme d’évidence, à la fois intime et majestueuse – comme, la veille (22 octobre), la Passion selon saint Jean (Johannes-Passion) de Bach, portée par le récit et le geste de Paul Agnew, insufflant son haletante ferveur à l’ensemble Les Arts Florissants.

MEHDI MAHDAVI

PHOTO © MATTHIEU JOFFRES

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