Le 29 septembre dernier, Richard Bonynge a fêté ses 90 ans. Après la disparition de son épouse, la légendaire soprano Joan Sutherland, en 2010, certains avaient pensé qu’il quitterait leur domicile suisse pour revenir s’installer dans son Australie natale, près de sa famille. Il n’en a rien fait et c’est encore au « Chalet Monet », dans la localité des Avants, au-dessus du lac Léman, qu’on peut lui rendre visite – ce que son fils, sa belle-fille, ses petits-enfants et arrière-petits-enfants ne manquent pas de faire à intervalles réguliers !
Comment ne pas ressentir une intense émotion en se plongeant dans Chalet Monet : Inside the Home of Dame Joan Sutherland and Richard Bonynge, l’imposant et luxueux ouvrage que le chef consacre à cette demeure, découverte en 1964 grâce à Noël Coward, achetée, agrandie, rénovée et meublée à deux ? À chaque page, transparaît un amour profond pour cette maison, ce qu’elle renferme, et, encore davantage, pour celle dont la présence hante encore les murs, dix ans après sa disparition : « Le Chalet Monet est si différent sans elle. Pourtant, je sens en permanence sa présence à mes côtés dans cette demeure, qui renferme tant de merveilleux souvenirs. »
Sublimes, les photos de Dominique Bersier montrent d’abord, sous tous ses angles, l’extérieur du chalet, entouré d’un immense jardin, dont Joan Sutherland adorait s’occuper. Puis on pénètre au rez-de-chaussée, découvrant une incroyable quantité de meubles, bibelots, gravures et tableaux, répartis entre le couloir, le salon, la salle à manger, et même la cuisine ! Le lecteur ne sait carrément plus où donner de la tête : méridiennes autrefois au château de Valençay, premières éditions des romans de Walter Scott, portraits et bustes de la « Stupenda », innombrables souvenirs et représentations picturales de Jenny Lind et Maria Malibran, collections de vases à l’effigie d’Adelina Patti et Christine Nilsson, ou ornés de scènes d’I puritani et Norma…
Dans l’escalier, un portrait -d’Arturo Toscanini attend le visiteur, puis, aux étages, une miniature et un buste de Bellini, des tableaux représentant Byron et Dickens, une aquarelle où l’on voit Massenet en train de diriger, des tasses peintes à l’effigie de Maria Malibran et Henriette Sontag, des autographes de Bizet, Gounod, Verdi et de dizaines d’autres compositeurs… sans oublier d’autres portraits et bustes de Joan Sutherland.
Spectaculaire, l’immense salle de musique, avec ses deux pianos (Steinway et Érard, ce dernier jadis à Buckingham Palace), ses portraits d’Adolphe Nourrit, Jenny Lind (encore !), et même Lady Randolph Churchill, la mère de Sir Winston. Dans la chambre à coucher de Joan Sutherland, on tombe en arrêt devant un extraordinaire portrait de Nellie Melba et un délicieux clavecin, surmonté d’un tableau représentant le Dauphin, fils aîné de Louis XVI, dans son berceau, veillé par une dame de la cour. Puis la visite continue, allant de trésor en trésor, jusqu’au moment où le –maestro lui-même s’écrie : « Il y a encore plein de tableaux, mais comme il n’y a qu’un livre, je m’arrêterai là ! »
L’un des immenses mérites de Richard Bonynge est d’accompagner d’un commentaire personnel chaque photographie d’une pièce dans son ensemble, ou d’un détail de celle-ci, en évoquant les circonstances de son ameublement, de l’achat du moindre objet qu’elle contient, voire de l’histoire de certains d’entre eux. Et comme si cela ne suffisait pas, le maestro, après s’être brièvement (mais remarquablement !) présenté dans un « Prologue », consacre des incises à ses divas préférées (Malibran, Lind, Melba, la ballerine Alicia Markova…) et des pages entières aux photos de son épouse (en scène, à la ville, dans des occasions officielles, avec ses partenaires…), et même à de fort drôles caricatures d’elle.
Alors, c’est vrai, le livre est en anglais. Mais même si vous ne lisez pas bien cette langue (l’auteur écrit dans un style parfaitement accessible), précipitez-vous dessus. Aucun des ouvrages consacrés jusqu’ici au couple Sutherland/Bonynge n’avait aussi bien résumé – et illustré – l’un des plus extraordinaires partenariats amoureux et artistiques du XXe siècle (Melbourne Books, Melbourne. 344 p. Disponible sur www.amazon.fr ou www.bookdepository.com) !
RICHARD MARTET