06Opéra Bastille, 13 juin & 2 juillet
On ne reviendra pas sur la mise en scène de Jean-Claude Auvray, créée à l’Opéra Bastille, en novembre 2011, et réalisée ici par Stephen Taylor. Si la direction d’acteurs semble toujours relâchée, certains tableaux, en particulier collectifs, n’ont rien perdu de leur beauté et de leur impact (voir O. M. n° 69 p. 47 de janvier 2012).
En revanche, la direction solide et sans histoire de Nicola Luisotti se situe quelques crans en dessous, pour l’émotion et la tension, du flamboyant Philippe Jordan de 2011, même si le chef italien sait parfaitement tenir les vastes concertati, et aussi faire chanter tel solo instrumental (sublime clarinette dans l’introduction de l’air d’Alvaro !). Les Chœurs de l’Opéra National de Paris impressionnent par leur beauté sonore et leur implication scénique, malgré quelques menus décalages.
Les deux Leonora, fort différentes au demeurant, l’emportent à l’applaudimètre. Le 13 juin, Anja Harteros, au sortir de triomphales Floria Tosca in loco, met quelque temps à trouver ses marques : prudente à l’acte I, parfois un peu basse d’intonation et avec des aigus trop vibrés. Mais, dès le II, tout s’arrange, avec un « Madre, pietosa Vergine » éperdu, puis un « La Vergine degli Angeli » phrasé à la corde. Elle triomphe enfin dans un « Pace, pace » suprêmement modulé, son engagement et sa beauté en scène achevant de convaincre.
Le 2 juillet, Elena Stikhina offre un autre format vocal, avec un aigu plus large et plus tranchant, qui semble se développer sans effort, mais aussi une plus grande palette dynamique. Contrairement à sa collègue allemande, la soprano russe donne de vrais pianissimi suspendus, qui font de « La Vergine degli Angeli » un moment d’exception, où le raffinement des demi-teintes répond parfaitement à la beauté du tableau. L’incarnation scénique est, en revanche, moins ardente et plus convenue, et chez l’une comme chez l’autre, on regrette un investissement assez générique du mot.
Pour ses débuts à l’Opéra National de Paris, Brian Jagde impressionne en Alvaro par un instrument puissant, aux aigus faciles et solaires, mais rétif à la nuance piano et semblant gêné au moindre gruppetto. Dommage aussi que l’acteur soit aussi pataud, face à un Carlo qui ne l’est pas moins, peu crédible sous son déguisement d’étudiant et bien embarrassé dans toutes les scènes de combat.
Peut-être fatigué par sa série de Scarpia sur la même scène, Zeljko Lucic semble, de surcroît, en grande difficulté vocale, le soir du 13 juin. Le 2 juillet, l’instrument répond mieux, mais le rôle paraît quand même, à tout le moins dans une salle aussi vaste que l’Opéra Bastille, dépasser ses limites en termes de tessiture, de largeur et de projection.
L’autre baryton, Gabriele Viviani, n’en prend que plus de relief et se taille un franc succès par son Melitone truculent – quoique pas aussi subtil et précis que celui de Nicola Alaimo, en 2011 –, en parfait contraste avec la voix de bronze et le chant hiératique de Rafal Siwek, Padre Guardiano solide, mais pas suffisamment charismatique.
Varduhi Abrahamyan incarne une Preziosilla explosive, dont le mezzo charnu et l’abattage font passer quelques aigus scabreux çà et là, sans parler d’un « Rataplan » manquant franchement de mordant. Enfin, dans les seconds plans, très bien distribués, on remarque particulièrement le Trabuco plein de relief de Rodolphe Briand.
THIERRY GUYENNE
PHOTO © OPÉRA NATIONAL DE PARIS/JULIEN BENHAMOU