Salle Favart, 22 février
Les landes n’ont rien perdu de leur charme, ni les brumes de leur mystère. La Dame blanche, c’est d’abord l’évocation d’une Écosse de fantaisie, celle-là même qui faisait fantasmer, dans la première moitié du XIXe siècle, les lecteurs de Walter Scott – signé Eugène Scribe, le livret de ces trois actes s’inspire d’ailleurs de l’écrivain, se souvenant de Guy Mannering, Le Monastère et La Dame du lac.
Les invraisemblances de l’intrigue réjouiront ceux qui n’ont pas oublié complètement leur enfance, plus sensibles aux apparitions du prétendu fantôme protecteur et aux secrets vite dévoilés qu’à la restauration du héros dans ses droits, le romanesque se taillant ici la part du lion. Avouons-le, le charme de la pseudo-naïveté du prolifique librettiste opère encore.
Quant à la partition, créée à l’Opéra-Comique, le 10 décembre 1825, son efficacité explique son succès et sa popularité, en dépit de quelques redondances (dans le finale du deuxième acte, par exemple) vite oubliées, tant les mélodies sont séduisantes, délicates et enjouées, dans le droit fil d’une élégance bien française, parfois teintée d’italianismes dans certains airs à vocalises.
Comment faire accepter au public contemporain, souvent amateur de distractions plus épicées, ce fantastique léger et bien-pensant ? Les décors imaginés par Emmanuelle Roy sont jolis, fonctionnels, mais sans surprise, et l’ajout de la vidéo, utilisée avec discrétion, est d’un apport très limité. Les costumes d’Alice Touvet jouent la carte de la couleur locale, revisitée non sans habileté. Rassurant, sans excès, fidèle aux intentions des auteurs, le spectacle se laisse voir.
Pourquoi faut-il que, disposant d’un tel cadre, Pauline Bureau n’en tire rien d’original et de personnel, se contentant d’un premier degré terre à terre et ne prenant aucun risque ? Et comment se fait-il que, venant du théâtre parlé, elle soit si malhabile avec les acteurs ? Les gestes sont stéréotypés, les attitudes convenues, pour ne rien dire des dialogues ânonnés par certains avec une bonne volonté désarmante.
Fort heureusement, la musique est là, une fois de plus consolatrice. Le professionnalisme du chœur Les Éléments n’est plus à vanter. Le son de l’Orchestre National d’Île-de-France n’est pas des plus flatteurs, mais Julien Leroy le dirige avec flamme et laisse s’épanouir naturellement les lignes musicales – Boieldieu est tout sauf sophistiqué et maniéré, et le chef l’a bien compris.
Yoann Dubruque fait du juge de paix Mac-Irton bien plus qu’une silhouette. Toujours excellent, Yann Beuron campe un Dikson convaincant ; les couleurs vocales sont désormais nettement plus graves, mais l’art du chanteur uni à celui du comédien frôle la perfection.
La Jenny délurée de Sophie Marin-Degor ne peut cacher quelques stridences, mais sa fameuse « Ballade » du premier acte ne manque pas d’aplomb. Le timbre étrange d’Aude Extrémo, riche en harmoniques mais aussi en sonorités métalliques, a ses partisans ; n’est-il pas trop ample pour une Marguerite au rouet qui agite son fuseau, évoquant l’une des trois Parques davantage qu’une gouvernante ?
Jérôme Boutillier a désormais pris place parmi les barytons qui ont pignon sur rue ; son Gaveston, musicalement, a de l’allure, et son chant du tonus – dommage que la direction d’acteurs ne le conduise pas hors des limites d’un « méchant » de convention.
La fraîcheur, la finesse, la jeunesse : charmante soprano que la virtuosité n’effraie pas, Elsa Benoit a tout pour être une Anna de premier ordre, parfaitement à l’aise dans un style qui mêle sourire et tendresse.
Le héros à la recherche de son passé, c’est Philippe Talbot, naguère dans cette salle un pétillant Comte Ory. Le ténor français aborde Georges Brown avec la même franchise, des phrasés souples et variés, un humour irrésistible qui évite de forcer le trait. Ses airs sont longs et difficiles ; il les affronte sans peur et ne mérite aucun reproche. Une précieuse recrue pour un répertoire qui a toujours besoin de défenseurs de cette classe.
Boieldieu est de retour place Boieldieu, grâce à cette coproduction entre l’Opéra-Comique, l’Opéra de Limoges et l’Opéra Nice Côte d’Azur. En espérant voir et entendre, en ces lieux, d’autres ouvrages nés de sa plume, La Dame blanche rappelle son souvenir. En 2025, elle fêtera ses 200 ans et semble bien se porter.
MICHEL PAROUTY
PHOTO © CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE