Felsenreitschule, 17 août
PHOTO : Russell Thomas et Marianne Crebassa.
© SALZBURGER FESTSPIELE/RUTH WALZ
Russell Thomas (Tito Vespasiano)
Golda Schultz (Vitellia)
Christina Gansch (Servilia)
Marianne Crebassa (Sesto)
Jeanine De Bique (Annio)
Willard White (Publio)
Teodor Currentzis (dm)
Peter Sellars (ms)
George Tsypin (d)
Robby Duiveman (c)
James F. Ingalls (l)
En réunissant, pour diriger et pour mettre en scène son spectacle d’ouverture, deux enfants terribles de l’opéra, Markus Hinterhäuser, directeur artistique du Festival depuis octobre 2016, affirme avec éclat la continuité du « Nouveau Salzbourg ».
Peter Sellars, présent ici dès 1992, n’a rien perdu de son impétueuse jeunesse, exposant un parti radical dans un long essai, intitulé, de façon aussi provocante qu’explicite, « Mozart et Mandela ». Opéra ultime, La -clemenza di Tito témoignerait de l’engagement résolu du compositeur dans les tourmentes de l’époque : franc-maçon, humanitaire, plaidant vigoureusement pour l’avènement des Lumières.
Tito, souverain noir, est donc confronté à la vague des migrants, dont il a sorti Sesto et Servilia. Pour résoudre ses conflits personnels, le premier rejoint un groupe terroriste : il abattra son bienfaiteur en scène, d’un coup de pistolet, à la fin du I – le II voyant la longue agonie de Tito sur son lit d’hôpital jusqu’à son suicide, en scène aussi, par arrachement de ses appareils de soin…
Sur le papier, ceci peut inquiéter. À tort ! Car l’homme de théâtre impose d’emblée sa vigoureuse présence : plateau du Manège des rochers (Felsenreitschule) pour une fois entièrement vide, exposant les galeries où personne ne viendra, mais splendidement mises en valeur par les lumières de James F. Ingalls. Et bientôt, surgissant périodiquement du sol, les quelques beaux éléments sculptés abstraits, transparents ou éclairés de l’intérieur, d’un George Tsypin à son meilleur.
Vêtu à l’orientale, le chœur connote l’actualité contemporaine, dont les attentats en Espagne, au même moment, rappellent la dramatique urgence : complot des terroristes, armés de ceintures d’explosifs, veillée de bougies, après l’attentat dont Tito a été victime… Beaucoup plus discutable en soi, mais d’un effet incontestable, l’introduction dans la partition de quatre pages complètes de la Messe en ut mineur KV 427 : Kyrie, Laudamus te, Qui tollis et Benedictus. Mais aussi l’Adagio et fugue en ut mineur KV 546 – « Un djihad tout personnel » de Mozart, écrit Sellars ! –, et enfin la Musique funèbre maçonnique KV 477, après le chœur terminal.
Allongeant la durée d’ensemble (mais le Terzetto n° 18 est supprimé, et les récitatifs largement coupés ou modifiés), l’œuvre prend une dimension grandiose – même si le II, avec un Tito condamné à tout chanter sur son lit médicalisé, marque une certaine baisse de tension. On aurait donc dû parler plutôt d’une adaptation, cautionnée par un chef pourtant sourcilleux en matière d’authenticité.
Avec les très remarquables instrumentistes et choristes de MusicAeterna, et son interprétation musclée autant que précise, la première Clemenza de Teodor Currentzis est de toute beauté, et permet de trancher sans équivoque sur les appréciations divergentes de ses précédents Mozart. Avec une réserve pourtant sur les tempi soudain très lents, distendus même, des deux grands airs de Sesto.
Le plateau est justement mené par Marianne Crebassa qui, après sa percée ici en Irene dans Tamerlano (2012), trouve un emploi à sa mesure pour sa prise de rôle, tant pour la chaleur et l’homogénéité du timbre que pour la haute qualité du phrasé. Son interprétation est d’une intensité bouleversante de bout en bout : la salle lui fait de longues ovations.
Golda Schultz, Sophie inattendue et séduisante dans Der Rosenkavalier (2015), ne parvient pas à cacher qu’il lui manque tous les graves pour rendre justice à Vitellia, surtout dans le périlleux « Non più di fiori ». Originaire de Trinité-et-Tobago, Jeanine De Bique offre un ravissant Annio, un peu mince pourtant, comme la Servilia de Christina Gansch. Russell Thomas, tout à fait en situation en Tito, affiche un bel aigu lumineux. Lui aussi parfait dans l’emploi, Willard White donne vocalement un Publio nettement plus ordinaire.
À l’opposé de celle de Karl-Ernst et Ursel Herrmann, dans la ligne de celle de Martin Kusej, au même endroit, discutable sur plusieurs points, mais toujours fascinante, cette production qui fait date, donnée à guichets fermés pour ses sept représentations, sera reprise au Nationale Opera d’Amsterdam et au Deutsche Oper de Berlin.
FRANÇOIS LEHEL