Teatro alla Scala, 2 novembre
Monteverdi excepté, la Scala n’a jamais montré beaucoup d’intérêt pour les compositeurs du XVIIe siècle. À titre d’exemple, Cavalli a dû attendre La Didone, en 2008, pour y faire son entrée. Dominique Meyer, nouveau directeur général du temple milanais, semble décidé à pallier ce manque, ce dont témoigne cette nouvelle production de La Calisto.
Depuis sa résurrection, en 1970, au Festival de Glyndebourne, sous la baguette de Raymond Leppard, ce « dramma per musica », créé à Venise, en 1651, est sans doute l’opéra de Cavalli qui a connu le plus de représentations sur les scènes internationales. On se souvient, bien sûr, de la mémorable mise en scène d’Herbert Wernicke, à la Monnaie de Bruxelles, créée en 1993 et filmée en 1996, sous la direction musicale de René Jacobs (DVD Harmonia Mundi). Mais on rappellera également, pour mémoire, les productions de Bâle, Genève et Paris (Théâtre des Champs-Élysées), en 2010, puis de l’Opéra National du Rhin, en 2017.
Prototype de l’opéra « héroïco-comique », La Calisto mêle éléments bouffes et pathétiques, dans une succession rocambolesque de travestissements en tous genres. La plupart des mises en scène récentes ont éprouvé le besoin de mettre l’accent sur l’aspect licencieux et érotique du livret. Il existe, certes, mais de manière superficielle. Le sexe n’est pas tout – d’où le finale, où les deux couples principaux admettent que le véritable amour est essentiellement spirituel. Et la liberté de penser, comme la révolution scientifique – dont la république de Venise était, au XVIIe siècle, l’un des principaux foyers en Europe –, sont des composantes essentielles.
Ce sont elles qui inspirent la démarche de David McVicar. Le décor de Charles Edwards représente le bureau d’Endimione, de forme circulaire, avec, en son centre, un énorme télescope pointé vers les étoiles. La référence à Galilée, suspecté d’hérésie et contraint d’abjurer, dix-huit ans avant la création de La Calisto, est explicite. Par les fenêtres de la pièce, on distingue un paysage en constante mutation, allusion aux doubles coulisses en usage dans les théâtres vénitiens de l’époque. Renforcé par les somptueux costumes de Doey Lüthi, ce dispositif, somme toute traditionnel, offre un cadre idéal à une direction d’acteurs aussi fouillée que pertinente.
Conservé à la Biblioteca Marciana de Venise, le manuscrit de La Calisto propose uniquement la ligne vocale et la basse continue avec, pour les passages instrumentaux, la présence de deux violons en complément. Toutefois, on sait que la pratique d’exécution accordait une large place à l’improvisation, notamment par l’ajout ultérieur de certains instruments. D’où le choix de Christophe Rousset, notamment pour tenir compte des vastes dimensions de la salle de la Scala, d’étoffer le continuo et d’intégrer deux violes, deux flûtes à bec et deux cornets.
Dirigeant son ensemble Les Talens Lyriques, renforcé par quelques musiciens de la Scala jouant sur instruments anciens, le chef et claveciniste français impose une lecture d’une vitalité débordante, cinglante parfois, mais aussi capable d’abandons élégiaques particulièrement suggestifs. On apprécie, de surcroît, l’extrême liberté agogique dont il fait preuve, ainsi que la variété de ses contrastes dynamiques.
S’agissant des chanteurs, Christophe Rousset respecte les tessitures originales : Linfea et Satirino sont confiés à des voix féminines, comme Giove quand il se travestit en Diana pour séduire Calisto. L’ambiguïté sexuelle cultivée par Cavalli s’en trouve renforcée.
Chen Reiss apporte au rôle-titre un timbre caressant, doublé d’une émission sûre et homogène. À ses mérites vocaux, s’ajoutent de louables qualités de phrasé, ainsi qu’une excellente diction. Face à elle, Olga Bezsmertna différencie magistralement le personnage de Diana, tantôt fragile, tantôt déluré, de celui de Giove sous son déguisement.
Christophe Dumaux campe un Endimione idéalement poétique, plongé dans ses rêves, tandis que Véronique Gens laisse transparaître, sous les accès de fureur de Giunone, la souffrance intérieure de la déesse. En ce sens, elle offre une parfaite métaphore des censeurs et bigots de toutes les époques, toujours prompts à remettre en cause les libertés et, en même temps, attirés par le fruit défendu.
Luca Tittoto convainc en Giove, d’abord rapace, puis de plus en plus enclin à la tendresse et à la sentimentalité. Une mention encore, dans cette distribution globalement équilibrée et d’excellent niveau, pour le Mercurio vif-argent de Markus Werba, la Linfea déchaînée de Chiara Amarù et le Satirino perpétuellement excité de Damiana Mizzi.
PAOLO DI FELICE
PHOTO © TEATRO ALLA SCALA/BRESCIA E AMISANO