Théâtre des Champs-Élysées, 1er février
À part l’air de Belcore, la strette du finale du I et les récitatifs, transformés en dialogues, il ne manque quasiment rien à cette production d’Un élixir d’amour, version allégée de L’elisir d’amore, à l’intention du jeune public. Hélas, ce dernier n’est pas dans la salle pour faire fête aux sympathiques gags qui l’émaillent et participer aux chœurs que le chef, tourné vers les caméras, dirige avec entrain, en chantant le texte en falsetto.
Bien sûr, pour tenir dans le format d’une heure et quart, on a sacrifié les reprises des airs et des duos, mais l’opéra n’en sort pas dénaturé. Avec trois voix (les sopranos Dimsa Bawab et Sara Gouzy, et la mezzo Natalie Pérez), le chœur féminin fonctionne à merveille et une belle équipe de comédiens anime le plateau, figurant les soldats de Belcore, mais aussi les ouvriers qui cherchent secrètement à améliorer le sirop pour la toux, au goût épouvantable, que fabrique leur usine « Elisir ».
Si cet ajout reste assez anecdotique par rapport à l’intrigue principale, il donne l’occasion d’une transposition dans un univers dont les roues dentées, l’alambic et le tapis roulant rappellent évidemment Les Temps modernes de Charlie Chaplin, avec un ouvrier naïf et timide (Nemorino), tombant amoureux de sa patronne (Adina). Au fil de l’action, ce décor unique, conçu par Aurelio Colombo, se transforme joliment et participe à la fluidité de la mise en scène de Manuel Renga.
Dans la réussite de cette adaptation, il faut compter la traduction française d’Henri Tresbel : son impeccable prosodie respecte, et le sens, et les accents originaux, du livret de Felice Romani. L’ensemble est bien servi par une distribution de chanteurs trentenaires qui, tous, possèdent déjà les qualités requises pour affronter la partition originale.
Norma Nahoun offre une Adina d’une grande fraîcheur de timbre et d’une parfaite musicalité, avec une technique impeccable. Elle peut s’enorgueillir d’une diction sans faille, donnant beaucoup de relief à son personnage.
Sahy Ratia possède le tempérament exact de Nemorino, mélange de timidité et de désinvolture. Son chant naturel, sans affectation, charme notamment dans la fameuse « Larme furtive », toujours très attendue.
Jean-Christophe Lanièce incarne Belcore avec beaucoup de fantaisie, désopilant en chemise de nuit, avec toutes ses décorations, quand il revient, à la fin du premier acte, faire sa demande en mariage. Si Thibault de Damas fait preuve de virtuosité dans la partie syllabique de l’air d’entrée de Dulcamara, on regrette que sa basse sonore reste à peu près incompréhensible ailleurs.
À la tête de l’Orchestre des Frivolités Parisiennes, en effectif réduit, Marc Leroy-Calatayud met en relief toute la saveur de l’instrumentation colorée de Donizetti dans un discours d’une rare élégance.
À n’en pas douter, ce spectacle joyeux, musicalement très abouti, aurait eu beaucoup de succès face à un auditoire d’enfants. La captation que mettra en ligne, fin mars, la plateforme pédagogique lumni.fr lui permettra sans doute d’atteindre son public, voire de l’élargir, même si rien, surtout pour de jeunes néophytes, ne peut remplacer le contact direct avec la scène, si riche au plan sensoriel et émotionnel.
ALFRED CARON
PHOTO © VINCENT PONTET