Comptes rendus Joyau vénitien à Dijon
Comptes rendus

Joyau vénitien à Dijon

08/02/2019

Grand Théâtre, 1er février

L’exemplaire, à ce jour unique, de la partition de La finta pazza a été découvert en 1984 ; Alan Curtis a dirigé une production à Venise, en 1987 (il en existe une vidéo) ; et on note encore des représentations à la Yale University, en 2010, d’après la transcription de Luciano Sgrizzi. Celles de l’Opéra de Dijon – judicieusement données au Grand Théâtre et non au trop vaste Auditorium – ne constituent donc pas exactement la « recréation après presque quatre siècles » dont parle le chef et musicologue argentin, Leonardo Garcia Alarcon, dans le programme de salle.

Pour autant, l’effort est remarquable, et l’événement fera date : pour Francesco Sacrati (1605-1650), dont on ne connaissait antérieurement que le nom, et pour cette seule œuvre de lui conservée, qui connut un succès considérable après sa création vénitienne, en janvier 1641.

Assez loin des machineries savantes d’alors, Jean-Yves Ruf propose une mise en scène plutôt sobre et modeste, avec un minimum de mobilier, et des costumes alliant, sans hiatus, modes anciennes et habits contemporains – seuls les vols des dieux descendus des cintres peuvent évoquer ces merveilles. Avec, également, un jeu d’acteurs parfois minimum, mais souvent efficace et juste de ton, et plusieurs superbes tableaux (le gynécée de l’île de Scyros, le beau sous-bois qui ouvre le III…).

Le mérite de Jean-Yves Ruf est aussi de rendre parfaitement clair le livret d’une haute qualité littéraire de Giulio Strozzi, qui brode sur l’histoire célèbre d’Achille se déguisant en femme chez le roi Lycomède, pour échapper à la guerre de Troie. Débusqué par Ulysse et Diomède, le héros quitte finalement Déidamie, fille du souverain, non sans qu’ait été auparavant reconnu leur fils Pyrrhus : un sujet souvent traité par les musiciens et les peintres.

Leonardo Garcia Alarcon utilise donc la partition éditée à Plaisance, en 1644, contenant déjà des modifications par rapport à la première vénitienne, et sans les ballets. Avec son excellent ensemble Cappella Mediterranea, aux délicates sonorités, fondues et soyeuses, il en donne une exécution d’une rare élégance, merveilleusement fluide et colorée, qui évoque la plus séduisante peinture vénitienne contemporaine.

Achille et Deidamia sont les pivots de l’œuvre, la seconde jouant deux longues scènes de folie feinte, pour tenter de retenir son amant, qui inaugurent une riche tradition. Par bonheur, les interprètes sont d’excellence, portant à leur sommet leurs duos – celui du I, « Felicissimi amori », est extrêmement proche du célèbre « Pur ti miro » conclusif de L’incoronazione di Poppea, sans doute également de Sacrati.

Avec un beau timbre fruité, d’une expressivité intense, passant brillamment de la féminité simulée à l’héroïsme retrouvé, Filippo Mineccia est à ne pas oublier dans la longue liste des contre-ténors de premier plan d’aujourd’hui. L’explosive Mariana Flores n’a pas tout à fait la même richesse de timbre, mais la virtuosité est impeccable, et la puissance est là, soutenant un jeu de tigresse dans les scènes de folie, tandis que les moments de tendresse sont d’une extrême émotion.

Le brillant Ulisse de Carlo Vistoli impose une présence du même niveau, son compagnon Diomede étant légèrement en retrait. Dans les seconds rôles, Fiona McGown donne une touchante Tetide (Thétis), et Scott Conner, un puissant Vulcano (Vulcain), tandis que Kacper Szelazek et Marcel Beekman chargent beaucoup, respectivement Eunuco (l’Eunuque) et Nodrice (la Nourrice), ce qu’on peut admettre pour ces rôles bouffes. Réserves, seulement, pour un Licomede un peu engorgé, et une Giunone (Junon) qui détonne d’abord obstinément.

Globalement, très bonne justice est donc rendue à cette œuvre véritablement majeure, à situer, à l’égal au moins de Cavalli, dans la proximité immédiate du dernier Monteverdi. On ne manquera pas la reprise à l’Opéra Royal de Versailles, les 16 et 17 mars, en se préparant pourtant, s’il n’y a pas de changement, à la durée excessive de la première partie (près de deux heures), l’entracte étant placé après le second des trois actes.

FRANÇOIS LEHEL

PHOTO : © OPÉRA DE DIJON/GILLES ABEGG

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