Comptes rendus Jonas Kaufmann bisse Otello
Comptes rendus

Jonas Kaufmann bisse Otello

29/06/2020

2 CD Sony Classical 19439707932

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Alors que Sony Classical avait déjà à son catalogue le DVD de la prise de rôle du ténor allemand, à Londres, en 2017, la firme n’a pas hésité à lui faire enregistrer une intégrale en studio de l’avant-dernier chef-d’œuvre verdien. Le résultat trouve tout naturellement sa place dans le haut de la discographie, sans dissiper toutes les interrogations.

Deux ans après la sortie du DVD filmé au Covent Garden de Londres, en juin 2017 (voir O. M. n° 131 p. 55 de septembre 2017 & n° 140 p. 81 de juin 2018), était-il nécessaire que Sony Classical publie une intégrale en studio d’Otello, avec le même ténor et le même chef ? Surtout quand on sait le coût d’un projet de ce type, devenu dissuasif pour les multinationales dans le contexte actuel du marché du disque.

Pour Jonas Kaufmann, la réponse est clairement non. D’abord, la prise de son met en relief certains défauts qui, sur le vif, passent complètement inaperçus. À 50 ans, après vingt-cinq années de carrière pendant lesquelles il ne s’est pas ménagé (l’enregistrement a été réalisé du 24 juin au 6 juillet 2019, à Rome), il est normal que le ténor allemand accuse des tensions dans l’aigu forte, souvent passé en force, quelques sonorités excessivement nasales et, occasionnellement, des signes de fatigue.

Ensuite, son incarnation du Maure semble ici beaucoup plus « classique » qu’à Londres où, si l’on pouvait regretter un certain manque d’héroïsme dans les deux premiers actes, la composition étonnait et fascinait de bout en bout. En gagnant en confiance en lui-même et en ardeur amoureuse, en perdant son côté halluciné et détaché de la réalité, son Otello a renoncé à ce qui en faisait l’originalité, pour épouser une conception plus traditionnelle du personnage.

S’agissant d’un chanteur aussi doué et charismatique, le résultat ne manque évidemment pas d’allure, ni de grandeur. Mais, avec l’indispensable concours de l’image (quel acteur phénoménal !), le DVD, d’une très bonne qualité sonore par ailleurs, conserve notre préférence.

Pour ce qui est d’Antonio Pappano, c’est plutôt l’inverse. Servis par une prise de son exceptionnelle, à la fois ample, brillante et précise, l’orchestre et les chœurs de l’Accademia Nazionale di Santa Cecilia se montrent sous un jour particulièrement flatteur. Miraculeux, sur ce plan, le difficile « Fuoco di gioia ! » du I, où chaque nuance est mise en valeur, du fortissimo au murmure.

Parfaitement maître de son sujet, le chef britannique n’accuse plus aucune baisse de régime au II. Et sa manière d’accompagner un Jonas Kaufmann en état de grâce, dans les six dernières minutes de l’opéra, laisse l’auditeur, une fois encore, ébloui et ému.

Les comprimari étaient globalement à la hauteur à Londres. Ils le sont encore davantage à Rome (bravo à la mezzo française Virginie Verrez, Emilia très présente et bien chantante !), à l’exception de Liparit Avetisyan, inférieur à Frédéric Antoun en Cassio.

Federica Lombardi, pour sa première intégrale lyrique en studio, est une révélation. Le timbre de la soprano italienne est ravissant, l’émission idéalement homogène et, comparée à l’excellente Maria Agresta du Covent Garden, sa Desdemona sonne plus jeune. Dommage qu’elle ne morde pas assez dans les consonnes, au risque de rendre son chant trop uniment radieux et candide.

Mais c’est Iago qui constitue le progrès le plus significatif par rapport au DVD. Voix bien timbrée, autoritaire et souple quand il le faut, Carlos Alvarez demeure un remarquable interprète du rôle, comme nous avions pu le constater au Festival « Castell de Peralada », en 2015. Un Tito Gobbi a montré que l’on pouvait aller plus loin dans la mise en valeur du sous-texte, mais, en l’état, le baryton espagnol se hisse aux tout premiers rangs de la discographie d’Otello.

Un souhait, pour finir. Si la direction artistique de Sony Classical a dans l’idée de faire enregistrer d’autres opéras en studio à Jonas Kaufmann, qu’elle prenne garde à choisir des titres où le ténor allemand a vraiment quelque chose de plus à apporter par rapport à ses précédents témoignages discographiques.

RICHARD MARTET

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