Opéra, 15 juin
Cette fois, c’est sûr, Hervé revient ! Au moment où le Palazzetto Bru Zane, qui avait déjà présenté en différents lieux une précédente production des Chevaliers de la Table ronde (voir O. M. n° 113 p. 33 de janvier 2016), poursuit sa tournée de Mam’zelle Nitouche, l’Opéra de Lausanne consacre la 5e édition de sa « Route Lyrique » à ces fameux Chevaliers… errants, en l’occurrence, puisqu’on les aura vus dans une vingtaine de localités. Bel exemple de décentralisation et de démocratisation lyrique !
Si le livret de Chivot et Duru, parodie des romans de chevalerie, est déjanté à souhait, la musique de cet « opéra-bouffe », créé aux Bouffes-Parisiens, le 17 novembre 1866, est un constant délice. Comme son maître Auber, Hervé sait être drôle et distingué, d’un charme mélodique prenant et dynamique. Très varié aussi, passant en un instant du style sérieux à la chansonnette.
Sans trahir l’esprit de l’œuvre, sa distanciation par rapport au sujet, ses permanents clins d’œil au public et son tempo frénétique, proche des comédies de Labiche ou Feydeau, Jean-François Vinciguerra a retravaillé le texte, n’hésitant pas y insérer quelques répliques cultes des Tontons flingueurs, des allusions helvétiques, et transformant les chevaliers envoûtés par Mélusine en hippies.
Le metteur en scène français joue à fond la carte médiévale, dans un esprit proche des Monty Python, ne serait-ce que par ce médiévalissime château fort, élément unique du décor conçu par Dominique Pichou, et les costumes d’époque d’Amélie Reymond.
Hors Jean-François Vinciguerra, vétéran de la troupe, qui chante également le rôle de Merlin, la distribution est composée d’artistes en début de carrière, issus de l’HEMU (Haute École de Musique de Lausanne). Ils confirment à quel point le vivier de haut niveau que représentent de tels établissements, assure une qualité et une homogénéité de style que l’on aurait tort de laisser en friche.
Hervé s’est montré ambitieux, puisque la partition ne compte pas moins de six rôles très exposés, avec des exigences proches de celles des grands « opéras-comiques » du temps, d’Auber à Victor Massé. Laurène Paterno est Mélusine : voilà une passionnante jeune soprano, puissante, agile, pleine d’aisance, sans parler de ses qualités théâtrales. Anne Sophie Petit, qui incarne la timide Angélique (timide au début, car la chaste jeune fille cache un tempérament de feu !), possède également une voix souple, légère comme des bulles de champagne, et un aigu facile.
Totoche, c’est autre chose. Hervé a parfois donné à la princesse adultère des accents dignes d’une mezzo verdienne, que Béatrice Nani assume avec un second degré dramatique tout à fait impressionnant (mais l’on sait que pour jouer au second degré, il faut se montrer capable du premier !).
Côté messieurs, nous avons deux tenori di grazia, Hoël Troadec et Jean Miannay, le premier plus brillant, le second plus suave. Pierre Héritier incarne Rodomont : c’est un « baryton Martin » aux graves fermes et à l’aigu brillant, doté d’une beau tempérament théâtral. Les autres interprètes n’interviennent que dans les ensembles ou les dialogues, mais aucun ne dépare l’ensemble.
Notre plaisir eût donc été à son comble si la prononciation n’avait pas été aussi inégale. Avouons que l’absence de surtitrage nous a, plus d’une fois, inspiré quelques regrets. Un comble s’agissant d’un ouvrage chanté en français !
Comme c’était déjà le cas pour la production du Palazzetto Bru Zane, l’orchestration a été habilement réduite par Thibault Perrine, expert dans ce genre d’opération. Les dix-sept instrumentistes, eux aussi élèves de l’HEMU, ont fourni au plateau un soutien précis, sous la baguette du chef français Jacques Blanc.
JACQUES BONNAURE
PHOTO © ALAN HUMEROSE