Opéra-Comique, 17 décembre
La mauvaise réputation qui colle à la peau d’Ambroise Thomas sera-t-elle battue en brèche par cette nouvelle mise en scène d’Hamlet, coproduite par l’Opéra-Comique avec Pékin, Liège et Zagreb ? L’ouvrage a survécu grâce à la scène de folie d’Ophélie, maintes fois enregistrée, et par les airs du personnage éponyme – un rôle en or pour un baryton. Mais il vaut mieux que cela et Louis Langrée en est un défenseur convaincant, jusqu’à brandir la partition au moment des saluts.
Il a raison ; Thomas fut souvent taxé d’académisme, un terme à ne pas confondre avec médiocrité. Car si certains moments semblent quelque peu redondants (les finales d’actes, entre autres), l’écriture vocale offre de belles surprises mélodiques, en même temps qu’elle caractérise avec précision les personnages ; quant à l’instrumentation, elle est moins conformiste qu’on pourrait le croire, dans l’usage des cuivres, entre autres, et celui, novateur, du saxophone.
Laissons là les clichés : même si la platitude de certains vers de Michel Carré et Jules Barbier prête parfois à sourire, Hamlet est un ouvrage qui tient fort bien la route. On l’imagine, toutefois, trouver sa juste respiration dans un théâtre plus grand que la Salle Favart – ce qu’était l’Opéra Le Peletier, où eut lieu la première, en 1868.
L’un des principaux artisans du succès de la représentation est sans conteste Louis Langrée, à la tête d’un Orchestre des Champs-Élysées riche de timbre et de couleurs. Savant équilibre de lyrisme, de tension, de fébrilité dramatique, sa direction apporte à la musique (privée, ce soir, du ballet obligé de l’époque) une énergie qui la rend vivante, et emporte le spectateur dans un univers qui, pour être romantique, n’en conserve pas moins quelque chose de français dans son refus des excès.
Le chœur Les Éléments et son mentor Joël Suhubiette ne méritent que des compliments. Avec le ténor Kévin Amiel, le baryton Yoann Dubruque et la basse Nicolas Legoux, la jeune génération du chant hexagonal est bien représentée. Jérôme Varnier possède le creux et la noirceur vocale qu’on imagine pour le Spectre du feu roi. Julien Behr est un Laërte estimable, en dépit de quelques faiblesses dans le registre supérieur.
Le couple Claudius/Gertrude est dignement représenté par Laurent Alvaro, qui phrase avec autorité et trouve au III des accents bouleversants, et par Sylvie Brunet-Grupposo, admirable d’éloquence et de grand style, avec ce timbre aux reflets fauves si ensorcelant. Sabine Devieilhe est une Ophélie toute de fragilité, de finesse musicale et d’émotion.
Ce n’est pas un hasard si Stéphane Degout remporte un triomphe : il est tout simplement idéal dans un emploi qui correspond à ses moyens actuels. Ce formidable musicien est également un comédien unique, offrant d’Hamlet un portrait fascinant, en traduisant aussi bien la complexité que la souffrance du personnage.
Le chant du baryton français ne se contente pas d’être d’une beauté singulière ; il est, à chaque instant, habité. Héros tragique plus qu’anti-héros shakespearien, l’Hamlet de Stéphane Degout, déjà vu et entendu, entre autres, à Strasbourg et Bruxelles, est celui d’un interprète au sommet de son art.
On ne saurait reprocher à Olivier Mantei, directeur de l’Opéra-Comique, de ne pas donner leur chance à des metteurs en scène souvent éloignés de l’art lyrique. Cyril Teste fait ses premiers pas en ce domaine. Il n’évite pas certains poncifs – la transposition contemporaine et les costumes smoking/robe du soir, combien en a-t-on vus ?
Jouant sur le croisement des disciplines artistiques et sur l’importance de l’image, Cyril Teste use également de la vidéo en direct sans parcimonie, avec des résultats mitigés, parfois heureux, parfois moins probants – montrer les techniciens et les coulisses produit un effet « théâtre dans le théâtre » qui tombe à plat, sauf pendant la pantomime des comédiens devant la cour.
Sans doute est-ce là une question de mesure ; trop de technique finit par lasser et nuire à l’émotion. Le travail de Cyril Teste est loin d’être indigne ; ce n’est pourtant pas lui qu’on retiendra, mais le coup de génie d’un Stéphane Degout inspiré, excellemment entouré.
MICHEL PAROUTY
PHOTO : © VINCENT PONTET