Opera House, 17 août
Verre à moitié vide ou à moitié plein ? On pourra reprocher à cette nouvelle production, la troisième de l’été à Glyndebourne, de chercher midi à quatorze heures, d’occulter complètement la dimension maçonnique de l’œuvre ou de surcharger la soirée d’images parfois inutiles. En même temps, il faut reconnaître que le duo franco-canadien Barbe & Doucet réussit à sortir intelligemment des sentiers battus, à créer un univers visuel séduisant et à porter un regard intéressant sur un des aspects de Die Zauberflöte.
Se demandant comment concilier certains éléments sexistes et racistes du livret avec les valeurs dominantes actuelles, André Barbe et Renaud Doucet ont choisi de ne rien couper dans le texte, mais de faire des premiers combats féministes l’arrière-plan de leur mise en scène. L’action est donc transposée dans un grand hôtel du début du XXe siècle qui, sans en être une copie fidèle, est censé évoquer le Sacher de Vienne.
Pourquoi ? Parce que Anna Sacher, la jeune veuve du fondateur, poursuivit seule l’affaire et la fit prospérer dans un monde où il était encore moins aisé qu’aujourd’hui à une femme de faire entendre sa voix. Anna Sacher, mais aussi Rosa Lewis – propriétaire, à la même époque, du Cavendish de Londres – deviennent ainsi les modèles de la Reine de la Nuit, héroïne pour laquelle les metteurs en scène disent éprouver un vrai penchant.
Ainsi, la mère de Pamina dirige d’une main de fer l’hôtel (on l’aura deviné : les trois Génies sont des grooms), tandis que Sarastro règne sur les cuisines. Et puisque c’est l’époque des suffragettes, on les voit manifester, jusque dans les caves, pour le droit de vote.
Le processus initiatique imposé à Tamino et Papageno tient plus des brigades d’Escoffier que des lumières maçonniques, mais il est finement détourné. Et si, pendant la « Marche des prêtres », on voit une armée de techniciennes de surface venir faire briller les cuisines, avant que n’y débarquent les mâles dominants, on s’amuse de voir Tamino faire la vaisselle, tandis que Pamina présente fièrement la truite saumonée de l’épreuve finale. C’est enfin sur une base parfaitement égalitaire que Papageno et Papagena se partagent les tâches ménagères, après la naissance coup sur coup de leurs cinq enfants.
Visuellement, le choix d’éléments de décor monochromes en deux dimensions se révèle payant : non seulement il renvoie à un riche imaginaire théâtral, qui va de l’époque de Mozart jusqu’à The Rake’s Progress, façon David Hockney, mais il permet aussi des changements rapides, un joli contraste avec la riche palette de couleurs des costumes et une véritable cohérence visuelle.
Sofia Fomina est une Pamina à la voix ronde et chaude, mais parfois un peu gauche scéniquement. Caroline Wettergreen campe une Reine de la Nuit à la fois belle et élégante, mais son premier air souffre d’une intonation irrégulière, et le second ne lui permet pas de sortir du dilemme entre rigueur rythmique et liberté de ton.
Frais et suave, le Tamino, façon Tintin, de David Portillo, tandis que Björn Bürger séduit par la justesse et la netteté de son Papageno. Brindley Sherratt, Jörg Schneider et Alison Rose sont également dignes d’éloges.
On se montrera plus réservé envers Ryan Wigglesworth, choisi tardivement pour remplacer Antonello Manacorda, à qui cette production avait initialement été confiée. Peu connu hors du Royaume-Uni, le chef britannique – sans lien de parenté avec son compatriote Mark Wigglesworth, éphémère directeur musical de la Monnaie de Bruxelles – est également compositeur.
Cette double casquette suffit-elle à expliquer une approche plus analytique que théâtrale ? Toujours est-il que, dès l’Ouverture, très lente, on a la conscience d’un manque de flamme qui se confirmera, hélas, tout au long de la soirée. Même les musiciens de l’excellent Orchestra of the Age of Enlightenment semblent parfois s’ennuyer.
NICOLAS BLANMONT
PHOTO © BILL COOPER