Théâtre du Capitole, 24 septembre
Comme nous l’avions écrit en conclusion de notre compte rendu de sa création, à Bruxelles, en janvier 2019 (voir O. M. n° 148 p. 41 de mars), il nous tardait de revoir cette mise en scène de La Gioconda au Capitole de Toulouse, son coproducteur. Notre plaisir a été à la hauteur de l’attente, tant ce spectacle se confirme l’un des plus réussis d’Olivier Py et Pierre-André Weitz. L’intelligence du concept et la force des images servent admirablement le chef-d’œuvre de Ponchielli, incontestablement l’opéra italien le plus captivant des années 1870, Aida exceptée.
Plus homogène que les deux offertes en alternance à la Monnaie, la distribution a été entièrement renouvelée, sauf pour le rôle-titre et le comprimario Isèpo. On retrouve ainsi la Gioconda de Béatrice Uria-Monzon, encore plus investie dans une production qui la met merveilleusement en valeur, avec un aigu d’une puissance et d’un rayonnement décoiffants. Le bas médium et le grave, en revanche, ont perdu en densité, mais l’intensité de l’incarnation finit par nous le faire oublier.
Christophe Ghristi, directeur artistique du Théâtre du Capitole, a remarquablement géré trois forfaits qui auraient pu déséquilibrer le plateau. Remplaçant Renée Morloc, la jeune Agostina Smimmero n’est certes pas le contralto exigé par la Cieca, mais elle franchit l’épreuve sans démériter. Arrivé trois jours avant la première, pour pallier la défection de Marco Spotti, Roberto Scandiuzzi accuse vocalement son âge (63 ans), tout en faisant valoir un métier et une autorité plus qu’appréciables en Alvise.
Révélation de la soirée, enfin, la Roumaine Judit Kutasi, en débuts sur le sol français, est exactement ce que réclame le rôle de Laura, initialement confié à Varduhi Abrahamyan : un grand mezzo dramatique, au timbre riche, à l’émission homogène et au si bémol aigu claironnant – ce qui n’exclut pas un remarquable sens des nuances. Depuis les premières Amneris d’Anita Rachvelishvili, nous n’avions plus entendu pareil ouragan !
Le premier mérite de Ramon Vargas, comme d’ailleurs de Béatrice Uria-Monzon, est de résister à ce torrent de décibels. Le ténor mexicain, qui fêtera ses 40 années de carrière, en 2022, n’avait jamais abordé La Gioconda jusqu’alors. Il n’est évidemment pas le lirico spinto réclamé par Enzo, la projection restant celle d’un pur lirico, idéal pour Nemorino, le Duc de Mantoue ou les emplois de demi-caractère du répertoire français. Mais la voix passe sans problème dans une salle d’un peu plus de 1 000 places, la qualité suffisamment préservée du timbre et la musicalité de l’interprète faisant le reste.
Complétant le sextuor principal, Pierre-Yves Pruvot, pour ses débuts en Barnaba, est une excellente surprise. Là où tant de ses confrères s’abandonnent à des effets d’une trivialité insupportable, le baryton français surveille sa ligne, sans en rajouter dans le côté « traître de mélodrame », ni vociférer. Du coup, beaucoup mieux que Franco Vassallo et Scott Hendricks, à Bruxelles, il s’intègre dans une mise en scène qui, à juste titre, fait de l’espion du Conseil des Dix le deuxième pivot de l’ouvrage, juste derrière l’héroïne.
Préparé par Alfonso Caiani, le Chœur du Théâtre du Capitole est comme toujours superbe, presque trop au premier acte, où il couvre complètement l’orchestre. Celui-ci joue, il est vrai, en effectif réduit (quarante-deux musiciens), pour respecter les contraintes sanitaires. Mais, dès le deuxième acte, l’équilibre fosse/plateau se rétablit, l’Orchestre National du Capitole déployant ses sonorités les plus enivrantes, sous la baguette d’un Roberto Rizzi Brignoli particulièrement à son affaire dans La Gioconda.
RICHARD MARTET
PHOTO © MIRCO MAGLIOCCA