Théâtre du Capitole, 27 & 29 septembre
Quelle était la meilleure ? C’est la question que pouvaient se poser ceux qui ont découvert les deux interprètes de Norma, affichées en alternance dans cette nouvelle production du Théâtre du Capitole. La Hongroise Klara Kolonits et la Lettone Marina Rebeka présentent de solides atouts, en offrant chacune un portrait très différent de l’héroïne.
Marina Rebeka s’impose par sa dimension tragique. Vocalement, elle n’est pas sans rappeler, par ses raucités, par ses stridences parfois, mais aussi par son formidable engagement dramatique et sa technique à toute épreuve, l’art souverain de Leyla Gencer.
Avec une présence un peu plus discrète, Klara Kolonits se situerait plutôt dans la lignée de Beverly Sills ou de la jeune Joan Sutherland. Son art des vocalises, ainsi qu’une émotion manifeste dans les moments les plus pathétiques, lui permettent une approche en demi-teintes d’un personnage dont elle traduit toute la complexité psychologique.
Depuis sa prise de rôle à Saint-Étienne, en 2008, Karine Deshayes a su faire bénéficier Adalgisa de l’évolution de sa voix vers des emplois plus dramatiques. Le médium reste onctueux, la déclamation conserve son ardeur, mais l’aigu a pris une formidable assurance.
Déjà remarqué à Toulouse, la saison dernière, en Alfredo dans La traviata, le ténor espagnol Airam Hernandez confirme les espoirs que l’on peut formuler sur sa jeune carrière. De la vaillance sans brutalité, de l’éclat sans esbroufe, un art savant des nuances : voilà autant de qualités qui font de lui un Pollione de première classe.
Oublions l’Oroveso tonitruant et instable de Julien Véronèse (le trac, peut-être ?), pour saluer l’autorité et la noblesse que lui restitue Balint Szabo. Andreea Soare et François Almuzara parviennent à donner un certain relief à Clotilde et Flavio.
Autant le Chœur que l’Orchestre National du Capitole, dirigés avec une belle énergie et un sens aigu des contrastes par Giampaolo Bisanti, réussissent à rendre au chef-d’œuvre de Bellini sa dimension grandiose, en respectant au plus haut point ce brûlant classicisme que l’on aurait aimé retrouver dans la mise en scène. Tel n’est pas le cas. Peu inspirée apparemment par cet ouvrage, quoi qu’en laissent supposer ses différentes déclarations d’intention, Anne Delbée se réfugie dans l’anecdotique en passant à côté de l’essentiel.
Lumières et costumes se situent dans une prudente tradition théâtrale. Quelques projections évoquent, avec plus ou moins de bonheur, ce que l’on évite de nous montrer (les enfants de Pollione et Norma, par exemple). L’idée de faire intervenir à tout moment, interprétée par Valentin Fruitier, une créature étrange, mi-cerf mi-barde, n’est pas seulement grotesque ; elle devient vite gênante, lorsque la déclamation grandiloquente de poèmes (celtes ?) vient polluer à plusieurs reprises la magie de l’orchestre.
Pour le reste, la direction d’acteurs est bien conventionnelle. Qu’ils soient plantés comme des piquets ou couchés à même le sol comme des feuilles mortes, les choristes ne constituent qu’un élément statique, à l’intérieur d’un décor bleu nuit qui, en lui-même, ne dit pas grand-chose. Des silhouettes d’arbres sur des panneaux latéraux au début, un plateau quasiment vide par la suite, puis, à l’extrême fin, surgie du plan incliné qui occupait le milieu de la scène, une gigantesque sculpture blanche, créée par Vincent Lievore, représentant des chevaux…
C’est bien peu, surtout pour un ouvrage d’une telle envergure. Retenons donc plutôt la haute tenue musicale de la production.
PIERRE CADARS
PHOTO © COSIMO MIRCO MAGLIOCCA