Comptes rendus Fernand Cortez musicologique à Florence
Comptes rendus

Fernand Cortez musicologique à Florence

14/11/2019

Teatro del Maggio Musicale Fiorentino, 20 octobre

Parmi les ouvrages annonçant l’avènement du « grand opéra » français, il est fréquent de voir mentionné Fernand Cortez, créé le 28 novembre 1809, à l’Académie Impériale de Musique (actuel Opéra National de Paris), sise alors Salle Montansier.

De fait, la monumentale partition, située entre La Vestale (1807) et Olimpie (1819) dans la carrière lyrique de Spontini, partage certains traits caractéristiques avec les chefs-d’œuvre à venir de Meyerbeer et d’Halévy : décors spectaculaires ; costumes fastueux ; défilés, processions et cortèges en tout genre ; intrigue mêlant destins individuels et événements historiques ; importance des ballets.

Pour autant, Spontini continue à privilégier la qualité littéraire du texte (le livret est signé Victor-Joseph-Étienne de Jouy et Joseph-Alphonse d’Esménard), respectant en cela l’héritage de la « tragédie lyrique » des siècles précédents, ce qui ne sera plus le cas dans Les Huguenots et La Juive. D’autre part, il évite de mélanger les registres dramatique et comique, comme Meyerbeer le fera, par exemple, dans Robert le Diable. Sur le plan musical, enfin, on est encore loin de l’extraordinaire syncrétisme de styles de ce dernier, par-delà un goût partagé pour la pompe, l’opulence des effectifs orchestraux et la recherche de sonorités instrumentales inédites.

Selon certains témoignages, c’est Napoléon Ier lui-même qui, en 1808, passe commande de Fernand Cortez à Spontini, dans un but de propagande. En lien avec la campagne -d’Espagne, il s’agit d’établir un parallèle entre la lutte de l’Empereur contre l’obscurantisme du royaume de Charles IV et celle du célèbre conquistador contre la superstition des « sauvages » Aztèques. Une conquête dans laquelle la grandeur d’âme et la pitié compteront davantage que la force brutale.

Comment expliquer, alors, le faible nombre de représentations dans les années suivant la première ? Faut-il y voir la conséquence de l’échec de Napoléon à soumettre totalement l’Espagne ? Des nombreuses défaites subies par l’armée française jusqu’à son expulsion du territoire, en 1813 ? Ou des ambiguïtés d’un livret insuffisamment manichéen, ne définissant pas clairement la personnalité et les motivations de son héros ?

Spontini, en tout cas, ne se déclare pas vaincu. La Restauration venue, il repropose Fernand Cortez au public parisien, toujours Salle Montansier, le 8 mai 1817, moyennant de sérieuses modifications du livret et, dans une moindre mesure, de la musique. Cette nouvelle mouture connaît le succès (260 représentations à l’Opéra jusqu’en 1844), le compositeur remettant ensuite l’ouvrage sur le métier à Berlin, en 1824, puis en 1832.

Régulièrement joué dans la capitale -allemande jusqu’à la fin du XIXe siècle, en traduction évidemment, Fernand Cortez n’aura guère de chance au XXe. Tout juste retient-on quelques reprises en italien – notamment celles du San Carlo de Naples, en 1951 (avec Renata Tebaldi et Gino Penno), et de la RAI de Turin, en 1974 (avec Angeles Gulin et Bruno Prevedi), dont le disque a conservé la trace (respectivement Hardy Classic et On Stage) – , avant un retour, hélas très fugitif, à la langue française.

En 1998, en effet, Jean-Paul Penin dirige la première intégrale en studio de l’ouvrage, dans sa version de 1817, qui sort l’année suivante chez Accord. Il en assure ensuite quelques exécutions en concert, sans qu’aucun théâtre ne prenne l’initiative d’une mise en scène. Jusqu’en 2006, quand l’Opéra -d’Erfurt, dirigé par Guy Montavon, invite le chef français à faire équipe avec Pierre Médecin, pour une nouvelle production qui ne réussit pas à tirer Fernand Cortez du purgatoire.

On salue donc l’initiative du Teatro del Maggio Musicale Fiorentino, qui a choisi de redonner vie à la première version de l’opéra, celle de 1809, caractérisée notamment par l’absence du personnage de Montezuma (basse), rajouté en 1817. Une opération rendue possible grâce au travail de Federico Agostinelli, auteur de l’édition critique publiée par la Fondazione « Pergolesi Spontini » de Jesi.

Remplaçant Fabio Luisi, démissionnaire de son poste de directeur musical du Teatro del Maggio, l’été dernier, Jean-Luc Tingaud restitue l’aspect martial de la partition. Ne lésinant pas sur les décibels, il nous permet ainsi de comprendre pourquoi des contemporains de Spontini lui ont reproché un volume orchestral excessif et un excès de percussions…

Sauf que Fernand Cortez n’est pas que cela. Jean-Luc Tingaud sait mettre en relief les audaces harmoniques, les dissonances, les modulations permanentes, dont le compositeur avait le secret. Tout juste lui reprochera-t-on de ne pas varier davantage les coloris instrumentaux, l’orchestre maison apparaissant inhabituellement terne.

À cette direction gloablement satisfaisante, on aurait aimé que réponde une distribution à la hauteur de l’enjeu. Las, l’équipe pèche sur le double plan vocal et stylistique. Le ténor Dario Schmunck campe ainsi un Fernand Cortez sans charisme, au timbre privé d’émail et de projection, et à la diction confuse. Également peu précise sur ce plan, la soprano Alexia Voulgaridou s’en sort mieux en Amazily, grâce à son timbre chaleureux et riche, ainsi qu’à son beau tempérament.

La prononciation de Luca Lombardo est incomparablement meilleure, mais la voix du ténor français sonne aujourd’hui trop sèche et usée pour Télasco. Parmi les autres interprètes, la basse Gianluca Margheri mérite une mention, Moralez au timbre plein et à la présence convaincante. Les chœurs, enfin, sont corrects, sans plus.

Pour sa mise en scène, Cecilia Ligorio s’inspire de l’Historia verdadera de la conquista de la Nueva España (Histoire véridique de la Conquête de la Nouvelle-Espagne) de Bernal Diaz de Castillo (1492-1584), dans laquelle ce conquistador dresse un portrait sévère de Cortez, soulignant sa cupidité et sa férocité. Personnage secondaire de l’intrigue, Moralez en devient donc ici le principal protagoniste.

Parvenu à un âge avancé, l’ancien compagnon d’armes du héros se souvient des principales étapes de la conquête du Mexique. Il les évoque dans un « journal » qui, projeté sur un rideau représentant une carte de l’Amérique centrale au XVIe siècle, trahit sa perplexité face au décalage entre le « vrai » Cortez et l’image transmise par la propagande, dont Napoléon s’emparera plus tard.

Prenant ainsi ses distances avec l’hagiographie, Cecilia Ligorio ouvre d’intéressantes perspectives, dont la traduction visuelle s’avère malheureusement inégale. On apprécie la volonté de stylisation des moments les plus spectaculaires – les quatorze chevaux qui avaient fait sensation, à la création, sont remplacés par sept danseurs au visage couvert d’un masque. On regrette, en revanche, certaines banalités dans la réalisation, ainsi que des chorégraphies péchant à la fois sur le plan de l’inspiration et de l’exécution.

Rien de rédhibitoire, donc, mais une production qui ne dépasse pas le stade de l’agréable, faute d’un authentique élan dramatique.

PAOLO DI FELICE

PHOTO © MICHELE MONASTA

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