Opéra, 15 septembre
Trois mises en scène différentes pour The Snow Queen (La Reine des neiges), opéra du compositeur danois Hans Abrahamsen (né en 1952), en moins de deux ans ! Peu d’ouvrages lyriques modernes auront fait l’objet d’un tel intérêt dès leur création.
En ouverture de sa première saison personnelle à l’Opéra National du Rhin, largement centrée sur le récit et le conte, Alain Perroux, nouveau directeur général, avait besoin d’un titre contemporain à faire découvrir, en contrepoint du Festival « Musica ». Un choix audacieux, puisque ni la création de The Snow Queen, en octobre 2019, à Copenhague, en danois, dans une scénographie très « technologique » de Francisco Negrin, ni la première munichoise, deux mois plus tard, en anglais, dans une production d’Andreas Kriegenburg, empêtrée dans de trop multiples niveaux de lecture, n’avaient vraiment convaincu.
Mais cette fois, toujours dans une version anglaise qui deviendra vraisemblablement usuelle, le bon déclic s’est effectué, à tel point qu’historiquement, on considèrera peut-être cette création française comme le véritable point de départ de la carrière de l’ouvrage. En tout cas, le succès est bien là : les mines unanimement réjouies du public, au sortir de cette soirée pourtant relativement longue, le prouvent sans appel.
Une réussite née, comme souvent, d’une contrainte. La fosse de l’Opéra de Strasbourg est trop petite pour contenir les quatre-vingt-six musiciens requis, effectif manié certes par Abrahamsen avec une infinie subtilité dans les alliages et la division des groupes instrumentaux, mais qui occupe forcément une surface incompressible, d’où le placement de l’orchestre sur la scène, derrière les chanteurs. L’action s’en trouve reléguée sur un praticable construit par-dessus la fosse, devant un rideau de fines chaînes traversable à volonté, qui accroche aussi la lumière, au point de pouvoir servir de support à de multiples projections vidéo.
Un outil tout simple, avec lequel James Bonas, le metteur en scène, et Grégoire Pont, le vidéaste, magiciens des images de synthèse, créent une indescriptible féerie : flocons blancs en rangs serrés, villages nordiques, forêts fantastiques, tempêtes de blizzard, aurores boréales… Le tout en interaction avec le jeu scénique. Une symbiose idéale, également, avec une musique diffractée, l’espace devenant infiniment ductile, dans une prenante atmosphère de rêve éveillé.
Certes, le célèbre conte d’Andersen est lu au premier degré, sans guère laisser de place à une psychanalyse évidemment tentante mais qui, on l’a clairement vécu à Munich, ne fait qu’altérer la pureté de l’ouvrage. Ici, le récit fonctionne à la perfection, accessible à tous les publics, et même la musique, débarrassée de tout parasitage intellectuel, peut s’épanouir avec une richesse insoupçonnée.
Bien sûr, aussi, sous l’influence déterminante de Robert Houssart, qui dirigeait déjà la création danoise. Amenant l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg à une très belle flexibilité, il parvient à affranchir l’ensemble de toute impression d’inconfort, le naturel du chant devant ici se conquérir en se frayant un chemin au travers d’une écriture d’une complexité rythmique redoutable.
Distribution parfaite, crédible scéniquement, y compris pour la Reine des neiges, confiée paradoxalement à une basse profonde et qui, avec David Leigh, travesti longiligne et beau timbre profond, fonctionne sans problème. Dans le rôle clé de Gerda, la soprano Lauren Snouffer chante avec autant d’aplomb que le faisait, à Munich, Barbara Hannigan, pour laquelle Abrahamsen a écrit des intervalles vertigineux.
Avec le Kay de la mezzo Rachael Wilson, Lauren Snouffer forme un couple parfait, entre les émerveillements de l’enfance et une maturité d’adultes dont la conquête difficile est, sans doute, l’une des clés les plus touchantes de ce magnifique ouvrage.
LAURENT BARTHEL
PHOTO © KLARA BECK