Staatsoper/play.wiener-staatsoper.at, 29 avril
Le Staatsoper de Vienne n’a pas de chance avec Faust. La production précédente, créée en 2008, était insignifiante, le regretté Nicolas Joel, tout juste victime d’un accident vasculaire cérébral, n’ayant pas pu la réaliser correctement. Et aujourd’hui, le contraste recherché par le directeur Bogdan Roscic, en remplaçant cette mise en scène bien sage par le fouillis iconoclaste d’une production importée de Stuttgart, déjà vieille de cinq ans, tourne court : pas de public, donc aucun effet de scandale possible, et une captation déficiente, qui ridiculise le projet.
De fait, les spectacles de Frank Castorf sont difficiles à filmer, avec leur plateau surencombré où Aleksandar Denic, décorateur attitré, accumule systématiquement les praticables, coursives et autres greniers. De toute façon, sans le secours de vidéastes poursuivant les acteurs dans tous ces recoins, pour retransmettre leur image simultanément sur des écrans, le public ne percevrait pas la moitié de ce qui se passe. Et comme il y a partout des obstacles et des angles morts, ces images sont médiocres : attrapées à la volée, tremblantes, sur(ou sous)exposées. Acceptables vues de loin, elles apparaissent d’un amateurisme catastrophique, quand elles sont recadrées en gros plan par les caméras.
De même, la gestion du chœur est d’une faiblesse caractéristique : le dispositif à tournette est tellement contraignant qu’il faut tasser les choristes à l’avant-scène, et surtout les faire sans arrêt entrer et sortir, pour ne jamais obstruer le plateau trop longtemps. Ici, l’effarante vision de dames viennoises en train de se trémousser à la rampe, en agitant des drapeaux publicitaires Coca-Cola sur la « Valse » de l’acte II, se passe de commentaire.
De toute façon, Frank Castorf n’a fait aucun effort pour adapter son projet à une distribution en grande partie nouvelle. Seul rescapé de Stuttgart, le Méphistophélès d’Adam Palka est, sans surprise, celui qui s’en tire le mieux : allures étranges de sorcier vaudou, constants roulements d’yeux en bille de loto, mais une certaine prestance, et une voix qui convient bien au rôle, en dépit d’aspérités rocailleuses et d’un français un peu exotique.
En revanche, Nicole Car ne peut que susciter la compassion en Marguerite, aux prises avec un look grotesque de Mata Hari opiomane, couverte de breloques. Le fameux air « des bijoux », très honorablement chanté pourtant, tourne au nanar total. Même Juan Diego Florez, Faust d’une indiscutable élégance, ne paraît guère à son avantage, quand il lui faut culbuter sa partenaire en gros plan.
Mieux à leur place, assurément : Etienne Dupuis, Valentin bien chantant, et assez juste dans sa composition de militaire fruste, et l’inquiétante Kate Lindsey, en Siébel ouvertement ambigu. Le tout sous la baguette d’un Bertrand de Billy qui ne se laisse pas trop perturber : direction sobre, classique, d’une belle qualité de phrasés.
Pour le reste, Frank Castorf brasse large, dans un décor qui comprime Paris et la France en quelques clichés se voulant typiques : passéisme, capitalisme, consumérisme, colonialisme et ses résidus, images d’archives à l’appui… Et tout pêle-mêle : si Marguerite agonise dans une station de métro, Siébel et Marthe beuglent, par-ci par-là, des citations poétiques de Baudelaire et Rimbaud, histoire de corser le tout.
Bref, du 100 % Frank Castorf, trublion dont toutes les productions finissent par se -ressembler, au point d’en paraître superposables, mélanges décousus de provocations, de balourdises et de vraies bonnes idées.