Autant la situation était claire pendant le premier confinement, avec l’annulation de toutes les productions dans le monde, autant le panorama des scènes lyriques au 22 novembre, jour où j’écris ces lignes, semble « éparpillé par petits bouts, façon puzzle », pour reprendre l’une des plus célèbres formules de Michel Audiard, dans Les Tontons flingueurs de Georges Lautner !
En Amérique du Nord, tout le monde est logé à la même enseigne : fermeture jusqu’à l’été 2021 ! À Londres, c’est tout comme : le Covent Garden et l’English National Opera n’annoncent aucun spectacle pour les mois à venir. Aux Pays-Bas, le De Nationale Opera d’Amsterdam ne reprendra ses activités qu’au mois de février. En Belgique, la Monnaie de Bruxelles a décidé d’attendre janvier, l’Opéra Royal de Wallonie-Liège maintenant, en revanche, La Belle Hélène, à partir du 23 décembre.
En Suisse, où le Grand Théâtre de Genève et l’Opéra de Lausanne ont, d’ores et déjà, renoncé aux productions prévues ce mois-ci, respectivement Candide et L’Auberge du Cheval-Blanc, l’Opernhaus de Zurich n’a rien changé, pour l’instant, à son calendrier de décembre.
En Allemagne, on trouve aussi tous les cas de figure. Le Staatsoper de Berlin ne modifie rien dans sa programmation, quand son voisin, le Deutsche Oper, refuse de dévoiler ce qui se passera après le 2 janvier – comme, d’ailleurs, le Semperoper de Dresde ou le Deutsche Oper am Rhein de Duisbourg et Düsseldorf.
En Italie, la plupart des théâtres préfèrent également ne pas s’avancer. Bologne, Cagliari, Catane, Rome et Turin n’ont encore rien annoncé pour 2021, pas plus que l’emblématique Scala de Milan. Dominique Meyer, son directeur, a annulé, alors que les répétitions avaient déjà commencé, la nouvelle production de Lucia di Lammermoor pour le mythique 7 décembre. À la place, Riccardo Chailly dirigera un concert de gala, avec des vedettes invitées dont on ne connaît pas encore la liste.
Et la France, dans tout cela ? Disons que l’on peine à rassembler les morceaux du puzzle. Alors même que le président de la République ne s’est pas encore prononcé sur les nouveaux protocoles sanitaires en vigueur à partir de décembre (son allocution est prévue le 24 novembre), plusieurs maisons n’ont pas voulu attendre, comme -l’Opéra-Comique, qui a annulé la reprise de Fantasio, prévue avant les fêtes.
L’Opéra National de Paris, en revanche, se tient prêt à lever le rideau sur La traviata, le 2 décembre, puis Carmen, le 16. Comme l’Opéra National du Rhin pour Hänsel und Gretel, le 9, l’Opéra de Dijon pour Il palazzo incantato, le 11, l’Opéra de Lyon pour Béatrice et Bénédict, le 12, et l’Opéra Orchestre National Montpellier pour Le Voyage dans la Lune, le 22 – quatre nouvelles productions que nous vous présentons dans ce numéro. Le rideau se lèvera-t-il vraiment ? Et devant combien de spectateurs ? Le mystère sera bientôt dissipé, on l’espère du moins !
En attendant, les théâtres, en France comme ailleurs, rivalisent d’inventivité pour maintenir un minimum d’activité et garder le contact avec leur public. Le « streaming » fait fureur sur les plateformes numériques, avec un mélange de spectacles anciens et de productions nouvelles, celles-ci filmées à huis clos, en raison de la deuxième vague de Covid-19.
Comment ne pas s’en réjouir, notamment pour les artistes, qui ont ainsi la possibilité d’exercer leur métier et de gagner leur vie, malgré les contraintes sanitaires ? Pour les spectateurs, rien ne remplacera jamais, c’est évident, le contact direct avec la scène. Mais mieux vaut un écran d’ordinateur que rien du tout !
Longtemps gratuit, le « streaming » est en train de devenir payant. Là encore, cela semble logique. Les recettes ne permettront certes pas aux théâtres de combler les pertes liées au virus, mais c’est toujours ça de pris. Et, pour le public, c’est une occasion en or de montrer son soutien à un secteur en difficulté. Surtout quand, pour 1 euro, on a la possibilité de suivre, sur la page Facebook du Teatro San Carlo de Naples, une exécution de Cavalleria rusticana réunissant Elina Garanca et Jonas Kaufmann !
Comme d’autres institutions avant lui (le Metropolitan Opera de New York avec la série de récitals « Met Stars Live in Concert », par exemple, dont le prochain sera Bryn Terfel, le 12 décembre), le San Carlo monte cette production uniquement pour sa diffusion sur internet, le 4 décembre. Le concert sera filmé en amont, le 1er, et restera disponible à la demande ensuite, pour 1 euro les sept premiers jours, puis 2,49 ou 4,49 euros. Il serait maintenant intéressant d’en savoir davantage sur le modèle économique du dispositif, d’autant que de plus en plus de théâtres vont y avoir recours.
Lors d’une visioconférence de presse, le 20 novembre, Martin Ajdari, directeur général adjoint de l’Opéra National de Paris, a ainsi annoncé la naissance d’une plateforme numérique, le 1er décembre, qui mêlera contenus gratuits et payants, spécifiquement conçus pour le web ou non. Alexander Neef, le directeur général de l’ONP, a, quant à lui, insisté sur le fait que toutes les équipes de la maison étaient au travail, aussi bien pour les spectacles de décembre que pour ceux du premier semestre 2021.
Il a également levé un coin du voile sur un futur plus lointain, chose tellement rare, en ce moment, qu’elle vaut la peine d’être mentionnée : la Tétralogie de l’Opéra Bastille, que France Musique enregistrera en version de concert, à huis clos, pour une diffusion entre le 26 décembre et le 2 janvier, sera enfin donnée, dans la nouvelle mise en scène de Calixto Bieito, au cours de la saison 2023-2024 !
RICHARD MARTET