Opéra, 12 juin
Créée en 2010, la « Route Lyrique » de l’Opéra de Lausanne poursuit un double but : faire travailler les élèves et anciens élèves des Hautes Écoles de Musique de la Suisse romande, et toucher de nouveaux publics. Tous les deux ans, une opérette est jouée d’abord à Lausanne, puis part en tournée dans les petites villes des alentours. Ainsi, cette année, après avoir débuté le 6 juin, le spectacle finira-t-il sa course en plein air, le 11 juillet, à Martigny. Il est très accessible, l’entrée étant gratuite à Lausanne, et la place ne coûtant, en tournée, que 15 francs suisses.
Le choix du titre ne pouvait être plus judicieux : après le triomphe de Phi-Phi, en 1918, son duo gagnant, composé d’Albert Willemetz pour les paroles et d’Henri Christiné pour la musique, se reforme avec Dédé, dont la première a lieu au Théâtre des Bouffes-Parisiens, le 10 novembre 1921. Dans Ma route et mes chansons, Maurice Chevalier, qui incarnait Robert, aux côtés d’Alice Cocéa (Denise) et d’André Urban (Dédé), se souvient : « Ma première chanson, «Dans la vie faut pas s’en faire», agrémentée d’une danse, est tellement acclamée que je me demande (…) pourquoi un tel succès nous échoit. »
Pourquoi ? Tout simplement parce que les textes de Willemetz pétillent de drôlerie, avec quelques sous-entendus coquins ; et que la partition de Christiné est une cascade ininterrompue d’airs pimpants, mettant merveilleusement en valeur leurs interprètes.
La production de l’Opéra de Lausanne est une réussite complète. Comme le metteur en scène Jean-Philippe Guilois est aussi chorégraphe, il fait danser sans cesse chanteurs et chanteuses : tangos et charlestons, qui font fureur en 1921, sont à l’honneur pour des numéros pleins d’entrain. La représentation file à cent à l’heure, sans le moindre temps mort, et les mésaventures sentimentales des personnages sont vues avec un sens du gag toujours à l’affût.
Simples et agréables à l’œil, les décors de Sébastien Guenot sont intemporels. En revanche, pour les costumes, Amélie Reymond choisit les années 1950, dessinant des modèles seyants et amusants : les vendeuses de la boutique de chaussures arborent des robes-tutus multicolores, avec bustiers argentés et longs gants noirs, tandis que Denise s’affiche en jupon rouge et Dédé en pyjama bariolé. Quant au Commissaire, avec son chapeau melon et ses grosses moustaches, il semble sortir tout droit d’un film de Chaplin.
Sous la baguette alerte de Jean-Philippe Clerc, l’Ensemble Instrumental de l’Opéra de Lausanne se déchaîne, prenant un plaisir contagieux à transmettre la joie de vivre et de railler de Christiné. Jeune et fringante, la distribution maintient un rythme d’enfer.
Avec ses cheveux calamistrés, Joël Terrin est un Dédé garanti d’époque, qui chante avec verve les « plaisirs défendus » et, en duo avec son ami Robert, « Faut pas nous énerver ». À celui-ci, qu’incarne le cocasse Maxence Billiemaz, revient l’honneur de lancer le célébrissime « Dans la vie faut pas s’en faire » : le chanteur fait un sort au refrain que le public plébiscite. Laurène Paterno campe une Denise haute en couleur, face à l’Odette élégante de Béatrice Nani.
Richard Lahady est un impayable Leroydet, notaire coincé qui se métamorphose en « apache ». Félix Le Gloahec croque le benêt Chausson, tandis que Pier-Yves Têtu s’amuse dans le double rôle du Commissaire idiot et du Journaliste non moins demeuré.
Espérons qu’un spectacle aussi abouti et amusant, idéal pour les fêtes de fin d’année, sera programmé par d’autres maisons.