Salle Garnier, 26 mars
Coproduite avec l’Opéra de Marseille, cette nouvelle mise en scène de Die Entführung aus dem Serail séduit d’emblée par son efficience et sa scénographie aussi vaudevillesque qu’astucieuse.
C’est, en effet, à bord d’un train luxueux, avatar assumé du mythique Orient-Express, que Dieter Kaegi choisit de transposer l’action du sémillant « Singspiel » mozartien. Point de départ d’un pittoresque voyage jusqu’au Caire, la gare de Monte-Carlo embarque les héros pour un périple mouvementé, dont les différentes escales (Salzbourg, Budapest, Istanbul) fractionnent autant l’intrigue que les sentiments.
Inspirée de l’esthétique fastueuse des années 1920, la production se distingue par un attractif décor ferroviaire modulable – des parois latérales coulissantes permettent de circuler entre les wagons et les cabines –, ainsi que par une profusion de somptueux costumes. Les éclairages très stylisés et l’habile défilement vidéo, figurant l’avancée du voyage, contribuent à notre plaisir visuel constant.
La direction d’acteurs s’accommode particulièrement bien de ce rutilant dispositif et apprivoise les rebondissements avec une indéniable sagacité : la confrontation méprisante de Belmonte et Selim dans les couloirs du train, les ruses de Pedrillo à l’encontre d’Osmin dans le bar, le numéro de jeune femme émancipée de Blonde dans les cuisines, les hésitations sentimentales de Konstanze…
Il faut dire que les étapes du voyage autorisent des séquences parfois loufoques. Les villes traversées sont autant d’occasions de mettre en perspective des mœurs singulières, des atmosphères inhabituelles, des états d’âme inédits, avec des interprètes s’en donnant à cœur joie jusque dans les dialogues, ici savamment réduits.
Cyrille Dubois, Jodie Devos et Brenton Ryan sont incontestablement ceux qui brillent le plus, tant ils conjuguent tous les talents : naturel déconcertant, insolente fraîcheur de ton et remarquable ductilité vocale. Inutile, donc, de détailler leurs performances respectives, ils sont ici à leur meilleur !
Il n’en va pas tout à fait de même pour Rebecca Nelsen, dont la voix, malgré sa parfaite adéquation avec les exigences du rôle de Konstanze, semble bridée dans ses intentions et ses élans virtuoses. « Traurigkeit » s’étire ainsi sans la profondeur requise, tandis que « Martern aller Arten » néglige la plus élémentaire véhémence. Dommage !
La déception est encore plus vive avec l’Osmin charismatique, mais vocalement inconsistant, d’Albert Pesendorfer. Est-ce la conséquence d’une méforme d’un soir ? La question se pose, tant les notes abyssales du fameux « Ha, wie will ich triumphieren » sont inaudibles. Rien à reprocher, en revanche, au Selim plein d’autorité du comédien allemand Bernhard Bettermann.
La direction musicale de Patrick Davin se révèle déconcertante et n’est peut-être pas étrangère à la sensation de décalage entre fosse et plateau. Si l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo se montre caressant en termes de timbres, de couleurs et de motricité, la matière moelleuse et compacte que le chef s’évertue à entretenir finit par édulcorer les subtiles acidités de la « turquerie » mozartienne. Le chœur maison sonne, lui aussi, beaucoup trop douillet et peine à exalter la tonitruante arrivée des janissaires.
Un Mozart musicalement harmonieux, mais sans réelle vigueur : le comble pour Die Entführung aus dem Serail !
CYRIL MAZIN
PHOTO © OMC/ALAIN HANEL